Véronique Auger est une journaliste spécialisée dans les sujets européens qui s’est illustrée notamment à travers son émission “Avenue de l’Europe”, diffusée sur France 3, l’un des traitements de l’actualité européenne les plus suivis par les Français. Présidente de l’Association des Journalistes Européens (AJE France) ainsi que celle du prix Louise Weiss, elle a également obtenu la distinction d’Officier de l’ordre national du Mérite en 2015.
Je vais commencer cet entretien par vous demander si vous êtes surprise d’apprendre que l’Europe est la mal aimée des médias en France.
Véronique Auger : Pas du tout non. Je pense néanmoins qu’il faut dissocier deux types de médias : la presse écrite et l’Audiovisuel. La presse écrite a fait des progrès gigantesques ces dernières années, la preuve : les élections européennes ont été extrêmement bien couvertes, de plus nous avons déjà récolté plus de 70 candidatures pour le prix du meilleur journaliste européen cette année. L’Audiovisuel, en revanche, a encore beaucoup de retard, mis à part Arte. De plus, les experts sur l’Europe sont malheureusement remplacés par des personnalités, souvent eurosceptiques comme Mme. Le Pen et M. Mélenchon.
C’est une distinction intéressante, on aurait pourtant l’impression du contraire.
Je vous propose de prendre pour exemple l’émission que j’ai démarré en 2001 « Avenue de l’Europe », devenue « Nous les Européens ». Elle est maintenant programmée le dimanche matin à l’heure de la messe et son format est passé de une heure à 20 minutes. Si l’émission a été placée à une heure de si faible audience c’est que France Télévisions avait peur de perdre de l’audimat avec des programmes sur l’Europe. Cela a changé dernièrement ; les élections européennes ont, pour une fois, été très bien traitées.
À quoi attribuez-vous ce changement ?
Je pense que l’une des raisons est que l’on a un président de la république qui est très impliqué sur l’Europe, ce qui « force » les journalistes traitant habituellement la politique intérieure à parler d’Europe.
Vous évoquez les élections européennes mais ce qui est reproché dans l’étude c’est qu’une fois les grands événements passés, rien n’est reporté alors que l’actualité européenne, elle, continue.
Il est vrai que même si Les Echos font un bon travail de veille, il y a un grand manque entre les événements. Il faut cependant réaliser que c’est un sujet polymorphe : le sujet Européen peut se traiter au prisme de l’immigration, de l’industrie, de la recherche, de l’environnement ou encore la santé, c’est difficile de le saisir. Et puis le vrai souci, et c’est à ça que j’appelle en tant que présidente de l’Association des Journalistes Européens, c’est que l’on ne parle pas d’Europe dans les écoles de journalisme.
Ce serait donc un problème à la source ?
Oui, je place la source du problème dans l’Education nationale. L’Europe n’est quasiment jamais abordée, mis à part en géographie et légèrement en histoire. Faites un sondage dans une classe de 1e, vous seriez atterré du peu de connaissance sur le sujet. Cela devient ensuite un problème pour la poursuite d’études où une connaissance des directives européennes est nécessaire.
Vous avez dit plus tôt qu’il y avait une sélection dans le choix des sujets traités, voyez-vous dans l’absence d’Europe une mauvaise volonté des rédactions ou la peur que ce soit un sujet trop complexe ?
Les deux. Il est évident que cela nécessite du travail pour éviter de publier des titres comme « à l’étranger : la présidente Von Der Leyen a été élue par le parlement européen », mais la charge de travail ne serait pas si grande si l’Education nationale avait inculqué les bases en amont. Je pense que l’Education nationale est restée braquée contre l’Europe qu’elle considère toujours comme une entité ultralibérale. C’est malheureusement le mauvais souvenir qu’a laissé la Commission Barroso à beaucoup de Français.
Il y a pourtant d’autres sujets qui ont brusqué la société française comme par exemple l’implication des Etats-Unis au Moyen Orient en 2001 et en 2003 et pourtant, on ne retrouve pas la même rancoeur aujourd’hui. Les médias font au contraire l’effort d’expliquer le système électoral américain et le décrypter tous les quatre ans.
C’est vrai je vous l’accorde, c’est un paradoxe dans la mesure où nous ne pouvons même pas voter pour le président américain mais il faut reconnaître que le système américain existe depuis plus longtemps que le système européen donc que les journalistes ont eu plus de temps pour se familiariser avec son fonctionnement. Le problème se situe dans la répartition des charges au sein des rédactions, rares sont les services entièrement dédiés aux sujets européens dans celles-ci. Le service étranger ne trouve pas exotique d’envoyer ses journalistes à quelques centaines de kilomètres à Bruxelles qui n’est pas très « glamour ». Je me souviens avoir eu beaucoup de difficultés à envoyer mes collaborateurs à Bruxelles lorsque je dirigeais le service étranger de France 3. Inversement, lorsque le président Macron se déplace à Bruxelles, c’est le service de politique intérieure qui n’est pas intéressé, puisqu’il n’en comprend pas toujours les enjeux.
C’est intéressant que vous parliez des différentes spécialités au sein des rédactions, on remarque depuis quelques années que les rédactions produisent de plus en plus de newsletters, or si certaines concernent le sport, l’économie, le droit, il est rare d’en trouver une sur l’Europe. Est-ce faute de demande ?
C’est plus nuancé que ça : l’Europe elle est traitée partout : elle est traitée évidemment dans l’économie avec l’Eurozone, dans la finance avec les lois européennes ou encore dans le sport avec la Coupe d’Europe.
Créer une newsletter sur l’Europe serait donc redondant ?
Je pense que oui. Les newsletters sur l’environnement abordent forcément la législation européenne tout comme les newsletters sur le droit intégreront forcément le Parquet européen.
L’Europe se greffe donc aux diverses catégories de l’actualité ?
C’est le cas depuis quelques années maintenant. Lorsque j’ai commencé à assister aux compte rendus de la CE (Commission Européenne) à Paris, seuls les spécialistes européens étaient présents mais depuis 5/10 ans je constate que beaucoup de journalistes spécialisés dans la finance, l’agroalimentaire etc, s’y rendent aussi.
Une fois l’information traitée et relayée, quel public est touché d’après vous ? En d’autres mots : pensez-vous qu’un intérêt pour l’Europe soit le propre d’une seule catégorie socio-professionnelle ?
Malgré ce que pensent les journalistes et les politiques, je ne pense pas que ce soit le cas. Quand les gens me reconnaissent dans le métro, ils m’approchent et me posent toutes sortes de questions. Tout le monde trouve son intérêt dans l’Europe et ce, quelque soit le niveau d’études : les agriculteurs et les banques alimentaires par exemple sont très au courant de ce qui se fait au niveau européen. C’est tout de même effarant que ces gens là soient plus au courant que des politiques dont c’est le métier, rappelons que la commission des Affaires Européennes n’est toujours pas une commission permanente à l’Assemblée nationale !
Il y aurait de la timidité de la part des présidents successifs ?
Il faut y voir des motivations complètement différentes : le président Chirac avait très peu d’intérêt pour l’Europe et le président Hollande savait que l’Europe était un sujet tabou au sein de son parti après le Traité de Maastricht que beaucoup de socialistes avaient rejeté. Ceci étant dit, c’est le seul à avoir accepté à venir dans mon émission pour parler d’Europe. Quant au président Macron, il a fait de l’Europe une de ses croisades et préfère en parler de lui-même. Il rencontre les journalistes étrangers et vante l’Europe dans ses discours aux populations voisines mais n’a jamais reçu les journalistes européens à Paris.
L’Institut Jean Jaurès avance une solution pour palier à cette absence, il s’agirait d’instaurer un quota européen dans le nouveau cahier des charges que la réforme de l’audiovisuel va produire. Ce principe de quota n’est pas chose nouvelle puisque c’est un procédé déjà utilisé pour les sujets sous-traités comme l’Outre-Mer.
Je pense avoir été la première à alerter le pouvoir et le CSA sur cette anomalie. J’estime cependant que l’idée de quota est une pente glissante. Comment quantifier la chose ? Comment vérifier ? Cela engrange d’autres questions.
Vous trouvez donc l’idée irréalisable ?
Pas forcément, je pense essentiel de trouver une formulation dans les statuts du nouvel audiovisuel public pour obliger à parler de l’Europe, il faut trouver la bonne formulation. Il faut aller plus loin que les émissions culturelles qui ne font que présenter le reste de l’Europe comme une terre lointaine et exotique. Je ne dis pas qu’il faut arrêter de traiter des choses « légères », mon émission le faisait aussi, mais il faut maintenant le faire au prisme de thématiques, de questionnements. Avec les programmes d’échange erasmus, les billets d’avion lowcost, les gens voyagent, ils commencent à connaître mieux l’Europe que certains politiques, les émissions sur les paysages suédois ne suffisent plus ! Ceci étant dit, la crise que nous traversons actuellement changera sûrement la facilité à voyager des gens.
En faisant abstraction des voyages, pensez-vous que d’autres obstacles subsistent ?
Le premier qui me vient à l’esprit c’est l’anglais. Travailler sur des sujets internationaux c’est travailler en anglais et c’est malheureusement encore difficile voire impossible pour beaucoup de journalistes français. Les rédactions partent du principe à l’embauche qu’un Bac +2, Bac +4 saura forcément parler anglais or ce n’est pas le cas. C’est mon ambition à travers l’association : former les journalistes à aller au-delà de l’anglais de communication basique et les entraîner à comprendre le jargon international et saisir les nuances de l’information.
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