L’Europe, mal-aimée des médias ? – Episode 1

Delphine Simon est journaliste au service économique à France Inter et spécialiste des affaires européennes. Son émission « Le vrai/faux de l’Europe » fait le point chaque jeudi à 13h25 sur les préjugés sur l’Union européenne. Elle revient sur les résultats du sondage Viavoice commandé par le Mouvement Européen – France, les Jeunes Européens – France, la Fédération Française des Maisons de l’Europe et les Européens Sans Frontières, qui montre qu’une majorité de français se déclare mal informée sur l’Europe et une plus grande majorité souhaiterait être d’avantage renseigné sur l’actualité de l’UE.

Diriez-vous être surprise d’entendre que l’Europe est la mal-aimée des médias en France ?

Delphine Simon : Non, je l’observe dans ma rédaction très régulièrement.

Pensez-vous que les rédactions écartent de manière volontaire le sujet européen et si oui pourquoi ?

Cela dépend de quoi on parle : les sujets de reportage tournés chez nos voisins intéressent plus que les sujet « institutionnels » européens qui n’ont pas vraiment la cote auprès des rédactions. Cela s’explique en partie parce que les décisions annoncées à Bruxelles ou Strasbourg mettent du temps à entrer dans le quotidien des auditeurs. Cela peut prendre parfois jusqu’à 18 mois, un an. C’est donc difficile à illustrer. D’autre part, les commissaires ou les députés européens (à quelques exceptions près) sont souvent inconnus en France. Enfin la Commission européenne souffre d’une image très administrative. L’image communément admise dans les médias c’est que « L’Europe c’est « emmerdant » ».

Côté Presse, les newsletters se sont beaucoup diversifiées ces dernières années (Economie, Politique, Sport, etc) et pourtant très peu concernent l’Europe. Pensez-vous qu’il n’y ait simplement pas de demande de la part des lecteurs ?

Je ne le pense pas, mais les moyens alloués à l’Europe sont faibles : il y a très peu de correspondants de la presse française à Bruxelles (surtout si l’on compare avec nos voisins allemands, voire britanniques). Certaines newsletters disparaissent faute de crédits, d’autres car la Commission européenne qui les finance les juge trop critiques et coupe les subventions. Personnellement je m’appuie beaucoup sur les rares newsletters gratuites. Quand elles sont payantes, ma rédaction refuse de prendre en charge l’abonnement.

Pensez-vous qu’un intérêt pour l’Europe soit le propre d’une catégorie socio-professionnelle ?

Souvent oui, car les cadres ou les catégories sont moins rebutés par la complexité sur l’Europe. Ils ont plus souvent recours à la presse écrite, plus prolixe sur les sujets européens que les médias audiovisuels. Pourtant je pense que les sujets européens intéressent très largement. Le tout est de l’expliquer simplement, en évitant les mots trop jargonnants. La faiblesse des manuels scolaires sur le sujet (une page maximum) n’aide pas les citoyens à se former une idée. Le sujet est vite évacué par des enseignants débordés. D’où le risque de voir certains se retrancher derrière l’illusion d’une souveraineté absolue de l’Etat français alors qu’il a été fait collectivement le choix que certains domaines seraient décidés en commun à 27. C’est une attitude complètement schizophrénique.

Comment élargir cet intérêt à un plus grand nombre ?

Je pense qu’il faut agir à la fois au niveau des rédacteurs en chef, qui commandent les sujets dans les médias. Il faudrait les former de façon systématique (comme le fait le service public, en particulier Radio France). Les politiques concernés (les eurodéputés), mais aussi les membres du Parlement national et les membres du gouvernement qui ont me semble-t-il une moins bonne connaissance du fonctionnement des institutions européennes.

En dehors des « grands événements » de l’agenda européen (élections, référendums, …), pensez-vous que les affaires européennes méritent une place dans le paysage médiatique français ?

Bien sûr. La démocratie européenne, le travail des eurodéputés à Strasbourg portent sur des sujets très concrets (transport, téléphonie, télévision, …), or ce travail est très peu couvert au quotidien. En réalité beaucoup d’entreprises, d’ONG suivent avec beaucoup plus d’attention les propositions de la Commission et le travail des eurodéputés, car elles impactent beaucoup de décisions nationales. Mais c’est un travail quasi invisible du grand public qui ne perçoit pas là où il peut agir lorsque les décisions ne lui conviennent pas.

L’étude de Théo Verdier, vice-président du Mouvement Européen – France, publiée par la fondation Jean Jaurès, montre que l’absence du sujet européen à l’Assemblée nationale est une cause majeure du manque de traitement médiatique. Pour y remédier, il propose de dédier une partie des questions au gouvernement aux sujets européens, qu’en pensez-vous ?

Contrairement à des pays comme l’Allemagne ou les Pays Bas, la feuille de route européenne des dirigeants français ne fait pas l’objet d’un vote au Parlement (si ce n’est à posteriori). Angela Merkel et le premier ministre néerlandais savent quelles sont leurs marges de manœuvre quand ils participent à un sommet européen : un vote au Bundestag ou aux Etats généraux des Pays Bas en a décidé. En France, non seulement ce n’est pas le cas, mais les retours des sommets de Bruxelles sont très peu médiatisés, ce qui permet aussi au chef de l’Etat et les membre du gouvernement d’entretenir un certain flou sur leur position réelle à Bruxelles (qui n’est pas toujours celle qu’ils expriment haut et fort à Paris). Rien ne dit que les parlementaires français se montreraient plus assidus sur ces sujets alors qu’ils n’ont pas vraiment le sentiment d’avoir leur mot à dire.

Une autre solution portée par le Mouvement Européen également serait d’inclure un quota européen dans les sujets que les services audiovisuels publiques traitent, comme il en existe déjà pour certains sujets en manque de visibilité (Outre-mer, etc…) Pensez-vous que cela soit un bon moyen ?

Pourquoi pas. On est à un moment décisif pour l’audiovisuel public, inscrire dans le cahier des charges des entreprises audiovisuelles publiques l’obligation de consacrer un certain nombre d’heures de diffusion à l’Europe permettrait de garantir aux journalistes qui couvrent ces sujets de ne pas voir leurs sujets déprogrammés. A Radio France, curieusement, les journalistes spécialisés dans les questions européennes dans les rédactions nationales ont été très peu associés à la couverture des dernières élections européennes. La réforme de l’audiovisuel public en discussion au Parlement prévoit de supprimer les Contrats d’Objectifs et de Moyens propres à Radio France et France Télévision. C’est l’occasion de renégocier. Il faudrait aussi préciser les obligations qui reviennent à la télévision en la distinguant de la radio, car il est à craindre que France Télévision refilera « la patate chaude » à la radio qui produit déjà beaucoup plus d’émissions sur l’Europe.

 

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