Avant de rejoindre la rédaction de France Inter en 1997, Stéphane Leneuf a été correspondant de Radio France au Parlement européen de Strasbourg. Maintenant rédacteur en chef chez France Inter, Stéphane Leneuf remet en perspective l’actualité européenne chaque dimanche à 7h17 dans son émission « Café Europe« . Il revient aujourd’hui sur les résultats du sondage Viavoice commandé par le Mouvement Européen – France, les Jeunes Européens – France, la Fédération Française des Maisons de l’Europe et les Européens Sans Frontières, qui montre qu’une majorité de français se déclare mal informée sur l’Europe et une plus grande majorité souhaiterait être d’avantage renseigné sur l’actualité de l’UE.
Tout d’abord, êtes-vous surpris d’entendre que l’Europe est la mal-aimée des médias en France ?
Stéphane Leneuf : Je ne suis pas vraiment surpris, mais je ne souscris pas à l’idée très répandue que l’Europe soit la mal-aimée des médias en France. Je pense qu’il faut plutôt raisonner en terme d’ignorance et de paresse intellectuelle de la part des directions des médias. Ignorance parce que très peu d’efforts sont réalisés pour comprendre le fonctionnement des institutions européennes et paresse intellectuelle parce qu’il existe encore une sorte de réflexe pavlovien autour de cette phrase très répandue dans les rédactions: « c’est compliqué à expliquer et cela n’intéresse pas le public». Or la participation aux dernières élections européennes prouve qu’il y a une vraie demande d ‘information sur l’Europe. Cela dit, de vrais efforts ont été réalisés lors du scrutin de mai dernier, le problème c’est que cela n’intervient que tous les cinq ans et après les médias ont tendance oublier ce qui se passe à Bruxelles et Strasbourg. C’est dans cet espace d’oubli que le combat pour une information européenne pérenne doit être mené. Mais globalement je trouve que les médias ont fait le job pendant la campagne.
Pensez-vous que les rédactions écartent de manière volontaire l’actualité européenne ?
Tout dépend de quelle actualité européenne nous parlons. Il y a, à mon sens, deux types d’actualité européenne. Une actualité européenne que je définirai comme horizontale. Elle est politique, sociale, culturelle, sportive, économique etc. Cette actualité, nous baignons dedans en permanence. Coronavirus en Italie, les tremblements de Merkel qui sont analysés comme si c’était notre propre chef d‘Etat, montée de l’extrême droite dans les pays de l’Union, crise des migrants et de l’Euro en Grèce, répercussion du Brexit sur la présence des britanniques en France et pour nos pêcheurs. Avec le Brexit on a même l’impression que Boris Johnson est notre premier ministre ! Cette actualité fait presque en permanence les unes des journaux, des TV et des radios françaises. Elle est devenue notre actualité nationale voire même locale. En ce sens cette actualité prouve bien que l’espace européen est devenue notre espace et que nous nous sommes approprié cet espace. Imaginez un instant que la crise du Coronavirus en Italie soit traitée en bref dans les éditions, ce serait un non-sens pour le public.
Il y a cependant ce que j’appelle l’actualité européenne verticale, celle des institutions, Conseil, Parlement, Commission Cour de justice, etc. Il n’y a pas à proprement parler de volonté d’écarter les sujets européens, mais peut être un réflexe professionnel lié à une règle de proximité que tous les journalistes apprennent dans les écoles et qu’ils essaient d’appliquer. Or avec les institutions européennes on est dans le contre champ de cette règle : c’est loin, c’est compliqué donc on ne traite pas et on suppose à priori que cela n’intéresse pas le grand public. Je pense enfin qu’il y a de la part des institutions elles-mêmes un vrai travail de simplification dans leur communication à réaliser à destination du grand public.
Les newsletters se sont beaucoup diversifiées ces dernières années (Economie, Politique, Sport, etc) et pourtant très peu concernent l’Europe. Pensez-vous qu’il n’y ait simplement pas de demande de la part des lecteurs ?
La demande existe mais il faut créer l’espace et prendre le temps de faire de la pédagogie.
Pensez-vous qu’un intérêt pour l’Europe soit le propre d’une catégorie socio-professionnelle ?
Non je ne pense pas. Chacun vient puiser ce qui l’intéresse et le concerne dans sa vie quotidienne. Les pêcheurs sont très attentifs au Brexit. Les transporteurs routiers ou aériens prêteront une oreille à la future taxe carbone, les étudiants aux équivalences de diplômes et à la liberté d’étudier et ainsi de suite. Chacun gère et capte l’information européenne en fonction de son intérêt propre.
Pensez-vous tout de même qu’il soit possible d’élargir l’intérêt à un encore plus grand nombre ?
Pour l’information européenne verticale en faisant de la pédagogie, de la pédagogie et encore de la pédagogie.
En dehors des « grands événements » de l’agenda européen que vous avez évoqué plus tôt, pensez-vous que les affaires européennes méritent une place dans le paysage médiatique français ?
Oui bien sûr, la réponse est dans la question. Mais les affaires européennes doivent être traités par le prisme de la vie quotidienne du grand public.
Loin de rejeter la faute sur les journalistes français, l’étude met aussi en lumière l’absence du sujet européen à l’Assemblée nationale comme cause majeure. Une solution avancée par l’institut Jacques Delors serait de dédier une partie des Questions Au Gouvernement (QAG) aux sujets européens, qu’en pensez-vous ?
Avant de penser à poser des questions européennes dans le cadre des QAG (ce qui est au demeurant une très bonne idée) réfléchissons plutôt à former les élus locaux et nationaux aux questions institutionnelles européennes. C’est hallucinant mais la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale n’est toujours pas une commission permanente. Cela signifie que tous les cinq ans son existence est remise en cause. Si on faisait un sondage parmi les élus de l’assemblé nationale mais aussi parmi les élus locaux je pense que nous aurions de très mauvaises surprises quant à leur niveau de connaissance sur la Commission, le Parlement et le Conseil et sur le fonctionnement des institutions européennes en général.
Toujours dans le même esprit, une autre solution proposée serait d’inclure un quota européen dans les sujets que les services audiovisuels publiques traitent, comme il en existe déjà pour certains sujets en manque de visibilité (Outre-mer, etc…) Pensez-vous que cela soit un bon moyen ?
Je n’aime pas trop l’idée de quotas car cela implique un caractère d’obligation. Or on risque de toucher par cette obligation au choix propres et éditoriaux des rédactions qui doivent garder leur liberté dans la nécessité de traiter ou non des sujets en fonction de leur intérêt. En revanche il faut créer un espace de traitement de l’actualité européenne spécifique dans des rendez-vous dédiés, magazine, chroniques. Là oui, il y a un gros manque !
La semaine prochaine, retrouvez Jon Henley, envoyé Europe du quotidien britannique The Guardian.
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