Pour une réforme constitutionnelle incluant la dimension européenne !

Drapeau français et européen via Lars Born, Ambassade française.

Propositions d’amendements à la Constitution du Mouvement Européen-France dans le cadre du projet de loi constitutionnelle présenté en Conseil des ministres le 9 mai 2018.

Par Aurélien Caron, Conseiller chargé du débat d’idées, membre du Bureau national du Mouvement Européen – France.

Retrouvez cette contribution au format PDF.

Dans son discours prononcé devant le Parlement réuni en Congrès, le 3 juillet dernier, le Président de la République, Emmanuel Macron, a affirmé sa volonté de moderniser nos institutions par l’intermédiaire d’une modification de la Constitution du 4 octobre 1958. Les détails de ce projet de réforme constitutionnelle ont été présentés par le Premier ministre, Edouard Philippe, dans son discours du 4 avril 2018.

Rien, dans les propositions actuelles de modification de notre loi fondamentale, présentées en Conseil des ministres le 9 mai dernier, jour hautement symbolique de Fête de l’Europe et de soixante-huitième anniversaire de la déclaration Schuman, ne touche à l’Union européenne et aux moyens de renforcer son ancrage politique et citoyen. Cette absence de l’Union européenne du projet de loi constitutionnelle est d’autant plus étonnante que le Président et le Gouvernement font preuve de volontarisme et viennent de lancer, le 17 avril dernier, les consultations citoyennes sur l’Europe, consultations que le Mouvement Européen-France contribue activement à populariser et à organiser partout dans le pays.

L’inscription de l’Union européenne dans notre Constitution et les mentions qui y figurent sont loin d’être anodines ou technocratiques. Au contraire, elles permettent, dans un langage clair et concis, de clarifier les grandes lignes du pacte qui lie depuis plusieurs décennies la République française au projet européen. Alors que l’objectif affiché par le Gouvernement est de permettre à l’Assemblée nationale de procéder à une première lecture du projet de loi constitutionnelle avant la pause estivale, pour une adoption définitive de ce texte en 2019, le Mouvement Européen-France tient à apporter au débat public des positions publiques et des propositions d’amendements (cf. pièces jointes et ci-dessous).

Ces positions et propositions ont pour but d’assurer davantage de transparence dans la gestion des affaires européennes et de droits pour les citoyens européens et s’inscrivent dans le droit fil de la déclaration de notre Assemblée générale visant à amplifier la démocratisation des affaires européennes.

I – Un cadre constitutionnel français insuffisant en matière européenne

L’entrée de l’Europe dans la Constitution française date du traité de Maastricht du 7 février 1992. A la suite d’une décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 1992[1] qui a souligné l’incompatibilité du texte constitutionnel alors en vigueur avec certaines dispositions du traité de Maastricht (notamment le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales des citoyens européens installés sur le territoire d’un État membre dont ils n’ont pas la nationalité, les dispositions relatives à l’Union économique et monétaire ou la politique commune des visas), une réforme constitutionnelle[2] a introduit un nouveau titre XIV dans la Constitution française intitulé « Des Communautés européennes et de l’Union européenne ». Ce titre est aujourd’hui abrogé et a été remplacé par un titre XV intitulé « De l’Union européenne » qui comprend 7 articles (de l’article 88-1 à l’article 88-7). Plusieurs révisions constitutionnelles ultérieures[3] ont permis d’aboutir au texte actuellement en vigueur et que le projet de loi constitutionnelle du Gouvernement n’entend pas modifier.

Le rapport intitulé « Refaire la démocratie »[4] du groupe de travail sur l’avenir des institutions co-présidé par Claude Bartolone et Michel Winock et adopté par l’Assemblée nationale le 2 octobre 2015 a souligné les insuffisances du cadre constitutionnel actuel dans le domaine des affaires européennes, notamment en termes de contrôle démocratique et citoyen.

Le projet actuel de loi constitutionnelle représente une opportunité unique de remédier à ces insuffisances. C’est l’objet des six amendements que nous proposons.

  • Les quatre premiers amendements ont vocation à permettre un meilleur contrôle parlementaire et citoyen de la politique européenne conduite par le pouvoir exécutif.
  • Les deux autres amendements visent à donner davantage de contenu à la citoyenneté européenne via une reconnaissance formelle des symboles de notre appartenance à l’UE et l’extension des droits de vote et d’éligibilité accordés aux citoyens de l’UE.

II – Pour un meilleur contrôle parlementaire et citoyen de la politique européenne conduite par le Président et le Gouvernement

Amendement n° 1 : une « exception européenne » donnant la possibilité au Président de la République de présenter sa politique européenne devant les commissions parlementaires compétentes et de rendre compte de son action au Conseil européen

Le rapport « Refaire la démocratie » (précité) montre clairement que le Président de la République n’informe pas suffisamment le Parlement de sa politique européenne : « L’absence de responsabilité du Président de la République se manifeste avec une particulière acuité dans la conduite des affaires européennes. Le chef de l’État, qui siège seul au Conseil européen, n’a pas à rendre compte des négociations. Le chancelier allemand, à l’inverse, négocie avec le Bundestag. (…) Aucune disposition dans la Constitution ne vient encadrer l’exercice de cette politique européenne, dont l’importance est pourtant devenue considérable. » (cf. page 79). Ce manque d’information du Parlement contribue à l’insuffisance du débat public concernant les questions européennes en France. Dans le même temps, dans le système institutionnel français, c’est le Premier ministre et pas le Président de la République qui, en sa qualité de chef du Gouvernement, est responsable devant le Parlement[5].

Le Mouvement Européen propose donc d’introduire une exception à ce principe, conformément à la proposition figurant dans le rapport « Refaire la démocratie » (cf. page 85)), en permettant au Président de la République d’intervenir directement devant les commissions des affaires européennes compétentes pour présenter son action au Conseil européen. Nous proposons de modifier en ce sens l’article 18 de la Constitution.

Faute d’une telle réforme constitutionnelle, nous soutenons l’idée que le Président de la République et le Premier ministre assistent aux réunions du Conseil européen (comme dans le cas des périodes de cohabitation). Cela permettrait au Premier ministre de pouvoir, en toute circonstance, mieux défendre et expliquer la politique européenne de la France devant la représentation nationale. Il suffirait pour cela que la France demande une dérogation à ses partenaires européens, comme elle l’a fait en période de cohabitation.

Amendement n° 2 : une obligation de discours annuel du Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès sur la politique européenne de la France

En complément de la possibilité pour le Président de la République de s’exprimer devant les commissions chargées des affaires européennes, un discours annuel du Président de la République sur les questions européennes devant le Parlement réuni en Congrès, auquel viendraient s’ajouter les députés français au Parlement européen de manière à renforcer les liens entre les deux Parlements, permettrait d’intéresser les parlementaires nationaux à ces enjeux et favoriserait la prise de conscience de l’opinion publique française. Ce discours ferait écho au « discours sur l’état de l’Union » prononcé chaque année en septembre par le président de la Commission européenne devant le Parlement européen[6]. C’est la raison pour laquelle nous proposons de modifier en ce sens l’article 18 de la Constitution.

Amendement n° 3 : consacrer une fois par mois une séance de questions au Gouvernement aux questions européennes

Le dernier alinéa de l’article 48 de la Constitution prévoit que : « Une séance par semaine au moins, y compris pendant les sessions extraordinaires prévues à l’article 29, est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du Gouvernement ». Ces séances de questions au Gouvernement sont le symbole de sa responsabilité devant la représentation populaire et sont retransmises en direct à la télévision (France 3 puis LCP depuis la fin de l’année 2017).

Nous proposons donc de modifier l’article 48 de la Constitution de façon à faire en sorte qu’au moins une séance par mois soit réservée, à la fois à l’Assemblée nationale et au Sénat, aux questions des parlementaires liées aux affaires européennes. Cette obligation constitutionnelle permettrait de sensibiliser les parlementaires français aux problématiques et aux enjeux européens. Elle enrichirait également le débat public à ce sujet.

Cette proposition figure également dans le rapport « Refaire la démocratie » (précité, cf. page 115 de ce rapport). Elle vient en complément de notre deuxième amendement qui concerne le discours annuel du Président de la République au Congrès sur les affaires européennes mais s’applique cette fois au Premier ministre et à l’équipe gouvernementale. Elle permettra d’assurer encore davantage de transparence concernant la politique européenne de la France.

Amendement n° 4 : faire des commissions chargées des affaires européennes des commissions permanentes

Le cadre constitutionnel actuel est paradoxal. Il reconnait à la fois l’existence d’une commission chargée des affaires européennes à l’Assemblée nationale et au Sénat (cf. article 88-4 de la Constitution, précité) mais ces commissions n’ont pas le statut de commissions permanentes[7] dont le nombre est limité à huit à la suite de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Or, ces commissions permanentes ont un rôle essentiel. Comme le précise le rapport « Refaire la démocratie » (précité), elles sont « en première ligne de l’activité de contrôle – via les missions d’information, le suivi de l’application des lois, les auditions, le vote sur les nominations – mais aussi de l’activité législative – l’examen en commission étant devenu un niveau de lecture à lui seul » (cf. page 105 de ce rapport).

Il convient donc d’autonomiser les questions européennes des questions liées aux affaires étrangères. Nous proposons donc, comme le rapport « Refaire la démocratie » (cf. page 115 de ce rapport), la mise en place de deux commissions chargées des affaires européennes de « plein exercice » et donc permanentes et, par conséquent, la modification en ce sens de l’article 43 de la Constitution.

III – Donner davantage de contenu à la citoyenneté européenne via une reconnaissance formelle des symboles de notre appartenance à l’UE et l’extension des droits de vote et d’éligibilité

Amendement n° 5 : introduire les symboles de l’Union européenne dans la Constitution française

Le Président de la République a reconnu les symboles de l’Union européenne le 19 octobre dernier en acceptant de signer, au nom de la France, la Déclaration 52 annexée au Traité de Lisbonne. Cette reconnaissance revêt une très grande portée symbolique et a été saluée par le Mouvement Européen-France[8].

Toutefois, les symboles européens devraient être reconnus par le droit français au plus haut niveau de la hiérarchie des normes de façon à faire obstacle aux aspirations populistes qui visent à les retirer des façades des bâtiments et des édifices publics (à l’exemple de l’Assemblée nationale[9]). Si les symboles de l’Union que sont le drapeau représentant un cercle de douze étoiles d’or sur fond bleu, l’hymne tiré de « l’Ode à la joie » de la Neuvième symphonie de Ludwig van Beethoven, la devise « Unie dans la diversité », l’euro en tant que monnaie de l’Union européenne et la Journée de l’Europe le 9 mai venaient à entrer dans la Constitution, alors toute proposition ou projet de loi visant à les interdire ou à les retirer seraient de facto inconstitutionnels.

Nous proposons donc de modifier en ce sens l’article 2 de la Constitution.

Amendement n° 6 : accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections départementales et régionales pour les citoyens de l’Union européenne résidant dans l’Union

L’introduction par le traité de Maastricht du droit de vote et d’éligibilité des citoyens européens qui ne sont pas de nationalité française mais qui résident en France a représenté une avancée démocratique majeure dans la construction d’une citoyenneté européenne.

Alors que le Gouvernement cherche à consolider cette citoyenneté et à favoriser l’émergence d’une identité européenne, il est indispensable de faire progresser les droits civiques dont disposent les citoyens européens qui résident dans des Etats membres autres que leur Etat d’origine.

Nous proposons donc de modifier l’article 88-3 de la Constitution française pour accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections départementales et régionales aux citoyens européens résidant en France. Ce nouveau droit serait accordé sous condition de réciprocité. Pour qu’il puisse véritablement voir le jour, une modification des traités européens (en particulier de l’article 20 du Traité sur l’Union européenne) et donc l’accord de tous les Etats membres sont également nécessaires. Une directive européenne devra également être votée[10] ainsi qu’une loi organique[11] dans l’ordre juridique français.

Néanmoins, en modifiant d’ores et déjà sa Constitution en ce sens, la France enverrait un signal très fort à ses partenaires européens, même si l’application concrète de ce nouveau droit est, de fait, repoussée de quelques années[12]. Ce nouveau droit de vote et d’éligibilité représente une première étape vers la participation des citoyens européens résidant en France à toutes les élections (y compris législatives et sénatoriales, voire même à celle du Président de la République), sous condition de réciprocité[13].


[1] Décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992

[2] Loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992 ajoutant à la Constitution un titre : « Des Communautés européennes et de l’Union européenne »

[3] Cf. sur ce point l’article de Joël Rideau « La construction européenne et la Constitution de 1958 ? » sur le site du Conseil constitutionnel

[4] Assemblée nationale, XIVème législature, rapport n° 3100, présenté par Claude Bartolone et Michel Winock, co-présidents

[5] Article 20 et article 21 de la Constitution du 4 octobre 1958

[6] Cf. annexe V de l’accord-cadre sur les relations entre le Parlement européen et la Commission européenne du 20 novembre 2011 : « Chaque année, au cours de la première période de session de septembre, a lieu un débat sur l’état de l’Union à l’occasion duquel le président de la Commission prononce une allocution dans laquelle il dresse le bilan de l’année en cours et esquisse les priorités pour les années suivantes. À cette fin, le président de la Commission précisera parallèlement par écrit au Parlement les éléments clés présidant à l’élaboration du programme de travail de la Commission pour l’année suivante ».

[7] Par exemple, l’article 36 du Règlement de l’Assemblée nationale fixe la dénomination et les compétences des 8 commissions permanentes qui sont : la commission des affaires culturelles et de l’éducation, la commission des affaires économiques, la commission des affaires étrangères, la commission des affaires sociales, la commission de la défense nationale et des forces armées, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire et la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

[8] Symboles européens : Emmanuel Macron répond à l’appel des militants du Mouvement Européen

[9] Drapeau européen : à la France de reconnaître les symboles de l’Union

[10] Sur le modèle de la Directive 94/80/CE du Conseil du 19 décembre 1994, fixant les modalités de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils n’ont pas la nationalité

[11] Sur le modèle de la loi organique n° 98-404 du 25 mai 1998 déterminant les conditions d’application de l’article 88-3 de la Constitution relatif à l’exercice par les citoyens de l’Union européenne résidant en France, autres que les ressortissants français, du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales, et portant transposition de la directive 94/80/CE du 19 décembre 1994

[12] L’extension des droits de vote et d’éligibilité aux élections départementales et régionales pourrait ensuite ouvrir la voie à une discussion sur leur extension aux élections nationales, conformément à la proposition de loi formulée par Jean-Christophe Lagarde.

[13] Voir en particulier la proposition de loi constitutionnelle visant à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux citoyens européens résidant en France pour toutes les élections, à l’exception du mandat de Président de la République enregistrée le 14 février 2018 à la Présidence de l’Assemblée nationale et portée par M. Jean-Christophe Lagarde, député.