4/4. Du 7 au 11 mai 1948, les Européens se réunissent au congrès de La Haye pour lancer la construction européenne. A l’occasion de ce 70e anniversaire, le Mouvement Européen – France vous propose une série d’articles consacrés au congrès et à ses suites politiques.
A l’occasion d’une réunion du Conseil consultatif du pacte de Bruxelles – alliance militaire défensive à 5 pays – Georges Bidault fut le premier officiel français à reprendre la volonté de création d’une assemblée européenne, proposition phare de la résolution politique adoptée en mai au Congrès de l’Europe à La Haye. Il dessine dans sa déclaration les contours du Conseil de l’Europe, créé en 1949.
Entretien. Dans un article intitulé « Prélude au conseil de l’Europe : la déclaration de Georges Bidault à la Haye (19 juillet 1948) » et paru en 2005, Jean-Rémy Bézias, docteur en histoire contemporaine à l’Université de Nice Sophia-Antipolis, analyse le discours du ministre français des Affaires étrangères. Son allocution est faite à La Haye, trois mois après le Congrès de mai 1948.
A l’époque du Congrès de La Haye en 1948, quelle vision avait-on en France du mouvement pour l’unité européenne ?
Jean-Rémy BEZIAS : Le Congrès de La Haye s’inscrit dans un ensemble de projets européens qui ont suivi la fin de la Seconde guerre mondiale. Le gouvernement français, dit de « troisième force », réunissait en une coalition les socialistes de la SFIO, le Mouvement Républicain Populaire, les Démocrates-Chrétiens, les radicaux et la droite. Le gouvernement est alors emmené par Robert Schuman, démocrate-chrétien et membre du MRP dont le Ministre des Affaires Etrangères, George Bidault, est également adhérent. Cette coalition est alors majoritairement favorable à l’idée européenne.
« Une Union parlementaire européenne est créée à Gstaad en 1947 à l’initiative – notamment – de députés français. Elle est présidée par le député Edouard Herriot. Ce comité défend une vision fédérale du projet européen. Il prône la création d’Etats unis d’Europe dirigés par un Parlement européen élu par les Parlements nationaux. »
Lors du Congrès de la Haye, on compte de nombreuses personnalités politiques françaises importantes : des socialistes comme Léon Blum, Paul Ramadier, ou plusieurs personnalités du courant Démocrate-Chrétien. On peut également relever la présence de François Mitterrand, alors ministre des Anciens Combattants.
Pouvez-vous nous en dire plus sur l’Union européenne parlementaire ?
Jean-Rémy BEZIAS : L’Union européenne parlementaire fait partie d’une initiative qui s’est nouée à partir de la fin 1946 – début 1947. Aux origines, on trouve Robert von Coudenhove-Kalergi, personnage politique important de la mouvance européaniste. Il souhaitait la mise en place d’une union fédérale européenne dans le cadre des Nations Unies. Son projet débouche en l’Union européenne parlementaire fondée en Suisse en 1947 qui regroupait des représentants des différentes assemblées parlementaires de l’Europe occidentale.
Dans cette Union, on retrouve des Français, des Belges, des Irlandais, des Italiens et des Anglais, qui constitueront plus tard le « noyau » du Congrès de la Haye.
Pour en revenir à George Bidault, il reprend donc certaines des propositions du Congrès de La Haye dans sa déclaration de juillet 1948 ?
Jean-Rémy BEZIAS : En juillet 1948, George Bidault prononce sa déclaration lors d’une réunion des cinq pays du pacte de Bruxelles. Signé en mars 1948, cet accord devait aboutir à une alliance militaire défensive entre la France, le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg face à la menace soviétique. La volonté d’unir les Européens est alors encore renforcée par le Coup de Prague de février 1948.
George Bidault propose dans sa déclaration de créer une Union douanière économique ainsi que de mettre en place une Assemblée de 5 pays à partir des Parlements nationaux. Il répond indirectement à la sollicitation du socialiste Paul Ramadier, qui avait présidé la commission politique du Congrès de La Haye.
Quelle est la portée de la déclaration de George Bidault ?
Jean-Rémy BEZIAS : A la fin des années 40, il existe une forte dynamique en faveur de l’unité européenne, mais il subsiste des hésitations sur les modalités à adopter : une union fédéraliste ou une coopération ? Un axe franco-britannique ? Quelle place pour l’Allemagne, qui n’existe pas alors comme Etat souverain plein et entier ?
« Dans sa déclaration, George Bidault se prononce à la fois pour une direction à 5 pays et une Assemblée politique consultative. C’est la première fois que le gouvernement français s’exprime sur un projet politique précis de mise en place d’une structure européenne. Ce discours constitue une étape importante vers la création du Conseil de l’Europe en 1949. »
Robert Schuman, successeur de George Bidault au Quai d’Orsay, poursuit l’initiative. Il souhaite d’ailleurs nommer l’ensemble « Union européenne ». Mais le projet fait face aux réticences britanniques, alarmés à l’idée d’une structure trop contraignante. L’Europe se tourne alors progressivement vers un axe franco-allemand.
De fait, les deux propositions de la déclaration de Bidault sont réalisées en l’espace de 2 ans ?
Jean-Rémy BEZIAS : Le volet politique, deuxième point de la déclaration de Bidault, a été réalisé avec la création du Conseil de l’Europe. En revanche, il faut attendre 1957 pour voir se concrétiser son projet d’union douanière avec la signature du Traité de Rome.
Robert Schuman se résout lui à mettre en œuvre son plan de mise en commun de la production du charbon et de l’acier, proposé publiquement pour la première fois le 9 mai 1950 et qui aboutit à la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) en 1951.
La déclaration de George Bidault traduisait-elle les convictions du gouvernement français de l’époque ?
Jean-Rémy BEZIAS : Ces propositions ont surpris beaucoup de gens, notamment les partenaires européens de la France, et n’ont pas fait l’unanimité au sein de la diplomatie hexagonale.
Certains diplomates, comme René Massigli, ambassadeur à Londres, voyaient cette proposition comme une opération de communication d’un ministre qui appartenait à un gouvernement démissionnaire. L’historien contemporanéiste George-Henri Soutou souligne lui que George Bidault s’est engagé par la suite, de manière sincère et désintéressée, en faveur du Conseil de l’Europe.
« Je crois profondément que nous allons faire l’Europe » déclarait George Bidault en 1948.
Au regard de la création du Conseil de l’Europe et du concept initial, quel regard avez-vous sur l’institution d’aujourd’hui ?
Jean-Rémy BEZIAS : L’institution diffère profondément de celle créée en 1949. A l’époque, au début de la guerre froide, il n’y avait que 10 Etats d’Europe de l’Ouest. Aujourd’hui cette Assemblée compte 47 Etats et a accueilli après la chute du « rideau de fer » tous les pays qui en étaient précédemment exclus, comme les pays de l’Est, les pays slaves…
Le Conseil de l’Europe n’est jamais devenu ce que prévoyaient ses concepteurs, qui le rêvaient comme un grand Parlement de l’Europe : c’est un organisme de coopération, de concertation, ainsi que le grand réceptacle de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. C’est aussi une institution qui, malgré son ampleur et son nombre de membres, n’a jamais pu répondre aux attentes de ceux qui l’avaient créée en 1949.