#UEdécryptée // « Comment les cours suprêmes européennes protègent les droits et libertés des citoyens ? »

Si l’Union européenne ne peut pas tout, elle agit dans de nombreux domaines pour améliorer le quotidien de ses citoyens. C’est pourquoi le Mouvement Européen France a développé des argumentaires pour défendre les acquis de l’Europe et des ripostes pour combattre les idées reçues

Après la Deuxième guerre mondiale, tous les pays européens ont mis en place une Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH) – à partir du 4 novembre 1958 et aujourd’hui composée de 46 Etats – avec pour objectif que plus jamais aucun Etat ne pourrait bafouer les libertés et droits fondamentaux comme avait pu le faire l’Allemagne d’Hitler et l’Italie de Mussolini.

Afin d’en garantir l’application – y compris contre les Etats signataires qui prendraient des mesures liberticides – une Cour Européenne des Droits de l’Homme a été constituée et siège toujours à Strasbourg. Il était prévu un article 34 permettant à tout citoyen européen de saisir, sous certaines conditions, cette juridiction ; la France n’y a adhéré qu’après 1981. Parallèlement, 6 Etats ont décidé de mettre en commun le charbon et l’acier et ont signé le 18 avril 1951 le Traité de la CECA. Celui-ci a prévu, également pour en garantir l’application, la création d’une Cour de Justice, ancêtre de l’actuelle Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) qui siège à Luxembourg.

La Cour de Strasbourg est exclusivement compétente en matière de droits de l’Homme, étant précisé que le texte de 1950 a été enrichi par de nombreux protocoles, dont deux interdisant dans les 46 pays membres, la peine de mort. La Cour de Luxembourg est juge suprême dans l’Union Européenne, en charge de régler les litiges opposant tant les institutions entre elles ou avec les Etats membres, que les opérateurs économiques et/ ou les citoyens à une institution de l’Union. En outre, elle est l’interprète unique du droit de l’Union par le mécanisme de la question préjudicielle qui se traduit par un dialogue de juge (national) à juge (de l’Union).

Cette construction à deux juridictions est exemplaire en termes de protection des citoyens et rejoint le véritable sens que Lacordaire conférait à sa fameuse maxime résumée ici abruptement : « entre le fort et le faible c’est la liberté qui opprime et la loi qui protège. C’est ainsi que la loi, au sens large, protège  le principe fondamental de l’égalité de tous les Hommes devient vite relatif en fonction de la couleur ou de l’origine de ceux-ci. Et pourtant, ce magnifique édifice suscite depuis quelques années des critiques souvent acerbes : ces Cours détruiraient notre souveraineté : ainsi, pour les Brexiteurs, la Cour de Strasbourg protègerait les délinquants et/ou les immigrés ; pour leurs prédécesseurs, la Cour de Strasbourg protégeait les terroristes nord irlandais… Et les Français reprochent notamment à la Cour de justice d’avoir interdit le fromage au lait cru. Ces reproches culminent dans celui consistant à soutenir que le pouvoir des juges en Europe serait supérieur à celui des peuples.

Cependant ces deux cours nous protègent

En effet, la Cour de Strasbourg a simplement protégé tous les Humains en interdisant qu’il soit fait des différences entre les hommes et les femmes en termes de couleur de peau, d’origine ou de religion et en obligeant la Grande Bretagne à renoncer à la torture dans la guerre civile irlandaise. La France, après plusieurs condamnations à Strasbourg, a fini par mettre en place des garanties contre la détention préventive arbitraire et instauré des droits de la défense effectifs en acceptant la présence d’un avocat lors des gardes à vue. En clair, grâce à la Cour de Strasbourg la présomption d’innocence est aujourd’hui un principe effectif et Monsieur Carlos GHOSN doit regretter d’avoir été poursuivi au Japon et pas en France… Par ailleurs, c’est grâce à la Cour de justice de Luxembourg, que les travailleurs migrants se sont vu reconnaître un vrai droit à la retraite, en imposant aux Etats membres de totaliser les droits et de les proratiser non pas dans le chef des retraités, qui étaient ainsi considérablement pénalisés, mais entre les Etats membres concernés.

Grâce à la Cour de justice, tous les citoyens européens, y compris les étudiants et autres non travailleurs, se sont vu reconnaître les mêmes droits que ceux dont bénéficient les nationaux, ce qui est tout à fait appréciable notamment en matière de santé.

Non, la Cour de justice ne rogne pas les souveraintés nationales

Cela semble évident de constater que la CJUE applique le droit de l’Union et qu’elle ne se prononce que si elle est saisie, ce qui exclut en soi tout pouvoir originel du juge. Il convient d’ajouter que les Etats membres procèdent depuis 1951, par délégations partielles de souveraineté successives, à la mise en place d’une souveraineté partagée et d’un droit autonome de l’Union. Prenons l’exemple fameux des fromages au lait cru pour nous Français et de la bière pour les Allemands. L’Union a imposé dès 1986 dans l’Acte Unique, une libre circulation entre autres des biens.

  • La CJUE, appliquant le droit de l’Union, a contraint les pays qui avaient des législations interdisant la commercialisation des fromages au lait cru à en autoriser la vente. MAIS à la condition que lesdits fromages respectent les normes européennes en matière d’hygiène et de sécurité alimentaire. Ainsi, tous nos fromages au lait cru, dès lors que ces normes étaient respectées, devaient être mis à la vente dans toutes l’Union Européenne : c’est donc une situation exactement inverse de ce qui est colporté par une partie de l’opinion publique.
  • Alors que l’Allemagne refusait la commercialisation des bières non produites à base d’orge, de houblon et d’eau (c’est-à-dire selon le « Reinheitsgebot » qui datait du XVIème siècle) la CJUE l’a obligée à permettre une commercialisation effective des bières notamment françaises produites différemment, tout en lui laissant la commercialisation des bières produites selon cette « loi de pureté ».
  • mais surtout, et en ces temps de revendication de souveraineté des citoyens, ces deux Cours sont garantes d’une souveraineté citoyenne effective.
  • En effet, tout citoyen européen peut contester devant son juge national une mesure nationale qui lui fait grief, en invoquant une violation du droit de l’Union ou de la CESDH.
  • Il faut insister sur le caractère révolutionnaire de ce droit en rappelant que le citoyen français, qui a pourtant bénéficié d’une Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en 1789, n’a jamais pu en revendiquer l’application effective en justice avant 2008.

Et l’on peut ajouter que cette réforme voulue par le Président Sarkozy, n’a été possible qu’en raison des jurisprudences des deux Cours. Pour illustrer ce droit révolutionnaire, il suffit de prendre l’exemple célèbre du cassis de Dijon.

Jusqu’à la fin des années 1970, l’Allemagne refusait d’autoriser la vente du cassis de Dijon au motif que, titrant 25 degrés, il aurait été néfaste à la santé publique. Mais elle promouvait parallèlement le cassis fabriqué en Allemagne titrant 35 degrés. L’Etat français n’a pas bougé et la Commission non plus. C’est un commerçant allemand qui a saisi son juge national. Celui-ci a posé une question préjudicielle à la CJUE qui a déclaré la mesure allemande en cause contraire au Traité de Rome et à son article 30.

Voilà l’exemple qui montre le caractère effectif des Droits des citoyens, qui participent ainsi directement à l’édification du droit qui leur est applicable.

tiré du Dictionnaire des idées reçues de la Ligue Européenne de Coopération économique