Tribune du ME-F : « Sans défense européenne, l’avenir de l’Europe sera un champ de ruines », mercredi 18 novembre 2015

« Sans défense européenne, l’avenir de l’Europe sera un champ de ruines »

      Il faut commencer à tirer des leçons profondes, après les attentats du vendredi 13. Dans le climat politique eurosceptique ou parfois anti-européen, il ne sera pas aisé pour les dirigeants de notre pays, et d’abord pour l’exécutif, de résister à la tentation de tourner le dos à l’Histoire. La dégradation de la « valeur-Europe » dans les opinions de plusieurs pays européens et d’abord en France, trace une pente de dangereuse facilité. Est-on plus efficace devant l’opinion en traitant les problèmes de sécurité intérieure dans le repli de l’hexagone, alors que le terrorisme est européen, même si la cible française est hélas privilégiée? Il faut redire que Paris, janvier ou novembre 2015, est le sommet d’attaques qui n’effacent pas celles de Madrid en 2004, celles de Londres en 2005, celles perpétrées au Danemark, en Belgique, et même au Liban, en Turquie ou en Arabie-Saoudite.
 
       D’abord en matière de sécurité, toutes les mesures annoncées par le Président français doivent trouver une coopération européenne de sécurité intérieure pour tous les pays du Continent. Un plan Barnier avait déjà été esquissé il y a quelques années , non seulement pour le secours aux victimes des attentats, mais aussi pour les secours en cas de grande catastrophe naturelle. Sur le plan des enquêtes policières, de la coopération du renseignement et de la coopération judiciaire, là encore, le niveau national , aussi remarquable soit-il, n’est pas à la hauteur d’une guerre déclarée dans les pays de l’Union. Cette guerre ressemble à une grenade à limaille : planifiée dans un pays, organisée dans un autre, exécutée dans un troisième. Il n’y a rien de plus urgent que de mettre sur pied tout de suite une politique communautaire dans ces différents domaines.
 
      Les attentats américains du 11 septembre 2001 et le Patriot Act qui a suivi, montrent que les mesures d’urgence doivent rentrer très vite dans un cadre judiciaire. S’il doit y avoir des lieux de rétention, des opérations coup de poing sur le territoire, beaucoup de gens pensent qu’un pôle de juges anti-terroriste n’est pas un obstacle à l’action policière. Je me souviens des opérations déclenchées en Italie dans les années 80 pour combattre le terrorisme de la Péninsule. Police et Justice décidaient en quelques heures des actions à mener, et le système a fonctionné. Nous avons suffisamment critiqué les dispositifs à la « Guantanamo » pour travailler à l’efficacité d’un duo Police/Justice.
 
Cette nouvelle vague d’attentats pose la très urgente question d’un pôle de défense européenne. L’Allemagne elle-même doit réviser et réhausser son niveau de coopération militaire. Mais il est urgent d’appeler à une conférence des pays membres de l’Union qui disposent d’une capacité de défense militaire suffisante pour organiser des opérations de défense et se projeter là où est l’ennemi. Je pense à la Pologne, à l’Italie, à l’Espagne, sans laisser de côté l’Europe centrale ou l’Europe du Nord. Qu’on ne m’objecte pas l’éternelle ambiguïté de la défense britannique : si politiquement il lui est impossible de rejoindre ce pôle de défense européenne à cause de ses liens étroits avec Washington, alors au moins qu’elle s’associe opération par opération comme c’est déjà le cas. Ce pôle de défense doit pouvoir contribuer à une alliance avec les Etats-Unis et la Russie, dans le cadre réglementé du Conseil de sécurité de l’ONU. Les Français ont raison : c’est l’Europe qui est attaquée, une défense européenne est indispensable urgemment.
      Reste la question des frontières. Tout le monde comprend aujourd’hui la grave erreur historique de l’Europe des 28 qui se veut une Communauté de libre circulation à l’intérieur de l’Union mais qui n’a pas trouvé le moyen de garantir par un Schengen universel la surveillance et l’imperméabilité de ses frontières extérieures, l’organisation de ses points d’entrée et le contrôle par les hommes et la technologie d’un véritable espace sécurisé. Voilà l’immédiate nécessité à décider, à mettre en place, à contrôler, à financer.
 
      Pour toutes ces décisions, il y aura deux attitudes politiques : abandonner la sécurité et la défense communautaire pour ne faire confiance qu’à ses frontières domestiques, ou faire le saut qualitatif d’un haut niveau de sécurité et quantitatif d’une affectation de moyens pour répondre par l’Union aux tentatives extérieures de déstabilisation. Et si, en attendant cette mise en place européenne, chaque pays doit renforcer unilatéralement son niveau de sécurité, je ne le critiquerai pas si cette attitude nationale n’est que provisoire. La vérité c’est que Daech veut déstabiliser nos pays pour qu’ils tombent sous la coupe de régimes autoritaires en attendant la séquence suivante qui sera une guerre civile des valeurs entre les tenants de l’autorité et les vigilants des libertés.  Ce désordre de graves oppositions civiles favorisera alors ses desseins.
 
      Le choix n’est plus politique : il est de l’ordre de la construction de l’Histoire. Qu’il s’agisse de sécurité, qu’il s’agisse de liberté. L’héritage de l’Europe repose sur des valeurs dont nous ne saurions nous priver. Mais l’époque réclame une adaptation de ces fondamentaux au monde actuel, qui est instable, et désormais violent. L’avenir de l’Europe est à ce prix sinon ce sera un champ de ruines. 
Jean-Marie Cavada
Président du Mouvement Européen-France
Député européen

 

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Crédit photo : Laurent Cerino/Acteurs de l’Economie