Tribune des Mouvements Européens-France et Italie : Une réponse européenne à la menace terroriste : la mise en place du parquet européen, 26 janvier 2015

Une réponse européenne à la menace terroriste

La mise en place du parquet européen

 

La France est confrontée à des crimes, certes commis sur son territoire et par ses ressortissants, mais qui ont été commandités, préparés et soutenus par des réseaux qui s’étendent bien au-delà des frontières nationales.

La Belgique se trouve dans une situation analogue et demain – bien que nous espérons qu’il n’y aura pas d’autres victimes – d’autres pays européens, et en premier lieu l’Italie, suivront sans doute.

Or, ce terrorisme qui se revendique du fondamentalisme islamique est forcément transnational. Cependant, dans l’Union européenne, encore aujourd’hui, tout le système répressif est de la compétence exclusive des Etats.

Face à une telle situation, il apparaît évident que la solution n’est pas dans la suppression de Schengen, d’autant que la coopération policière fonctionne plutôt bien dans l’Union européenne, mais dans la recherche d’une réponse judiciaire européenne.

Cela fait 20 ans, au moins, qu’on a commencé à assister à la multiplication des crimes transnationaux et que les Etats se sont trouvés confrontés à de véritables organisations internationales s’attaquant d’une part aux intérêts financiers de l’Union européenne, et d’autre part aux biens et aux personnes des Etats membres de l’Union européenne.

Raison pour laquelle dès la fin des années 90, la Commission Prodi a rédigé un livre vert. C’est ainsi que dès 1998/1999 l’instauration d’un procureur européen semblait d’évidence. Elle relève en effet du simple bon sens : face à une criminalité de plus en plus internationalisée et à l’effacement des frontières – dû plus à l’évolution de la technologie qu’à la mise en place de Schengen – la répression qui est, rappelons-le, de la compétence exclusive des Etats membres, devient plus que difficile.

En effet, les juges et les avocats savent bien que, dès que plusieurs systèmes répressifs sont impliqués, la défense dispose de moyens extraordinaires ne serait-ce que pour retarder indéfiniment un procès.

Certes, le travail de la police, grâce à Europol et grâce à la coopération qui s’est instaurée entre différents services des Etats membres, arrive à pourchasser les délinquants et criminels par-delà les frontières.

Cependant, il n’est pas satisfaisant, loin s’en faut, de constater que les présumés coupables sont arrêtés et qu’il est extrêmement difficile de les juger tant pour des raisons de compétence de la juridiction nationale que pour des raisons liées au droit applicable, sans parler de l’utilisation des différences entre les systèmes répressifs nationaux par la défense.

Or, dans un Etat de droit il n’est pas tolérable de fonder une défense sur un système territorial qui permettrait à des coupables d’échapper à toutes sanctions alors que les délits ou crimes seraient constitués.

L’avocat européen, tel qu’il a toujours existé et tel qu’il est aujourd’hui, n’a jamais été ni le complice ni le protecteur d’un délinquant ou d’un criminel : il en est son défenseur !

Depuis le livre vert, l’idée d’un Procureur européen a fait son chemin puisque le traité de Lisbonne permet aux institutions européennes de l’instaurer. Cependant, il ne l’impose pas ! Donc, ce procureur n’a toujours pas vu le jour. Nonobstant, la Commission Barroso a présenté un projet de règlement – bien plus modeste que le livre vert – l’instaurant.

Mais une double problématique se pose immédiatement : quel est son statut ? Et quelle est sa compétence ?

En ce qui concerne la compétence, la Commission propose un procureur dont la tâche serait uniquement de défendre les intérêts financiers de l’Union. D’autant qu’un certain nombre de crimes et délits font déjà l’objet d’une harmonisation communautaire comme notamment le blanchiment, la corruption ou la fraude.

Les projets tels qu’ils existent aujourd’hui ne prévoient pas de compétence de ce procureur européen en matière de crimes et délits transfrontaliers.

De nombreuses critiques se sont fait jour en appelant de leur vœux un parquet européen, dont la compétence ne consisterait pas seulement à veiller à la protection des intérêts financiers de l’Union, mais également à permettre une répression pénale efficace tout en étant fondée sur le respect des libertés fondamentales telles que les deux grandes Cours européennes les ont fixées dans le marbre par des jurisprudences pratiquement uniques au monde.

Cette «deuxième» compétence, qui devrait être essentiellement une compétence d’initiative, de coordination et d’efficacité procédurale, s’impose d’autant plus aujourd’hui avec l’actualité de lutte contre le terrorisme. En effet, sur ce terrain et à la suite des attentats dont les Etats-Unis ont été victimes le 11 septembre 2001, l’Union européenne avait immédiatement organisé des listes européennes de terroristes, et la Cour de justice avait retenu sa compétence pour connaître tous les litiges relatifs à ces listes. Il existe donc déjà une forme de compétence de l’Union dans ce domaine de la lutte contre le terrorisme.

Bref, il est impératif que la Commission modifie sa proposition pour que la compétence de ce futur procureur européen soit élargie aux crimes et délits transfrontaliers. Bien évidemment, il faudra les lister et faire application du principe de subsidiarité, à l’instar de ce qui se pratique dans le domaine du droit de la concurrence.

Une majorité devrait pouvoir se dégager, même une majorité très large entre les Etats membres pour l’instauration d’un parquet européen ayant cette compétence ainsi élargie. En revanche, il n’en sera probablement pas de même en ce qui concerne le statut de ce procureur européen.

Nombre de spécialistes rêvent d’un parquet indépendant, hiérarchisé, installé bien évidemment auprès du juge européen, c’est-à-dire à Luxembourg.

Le Conseil d’Etat français, qui a fait un rapport extrêmement dense sur l’instauration de ce procureur européen, qualifie la mise en place d’un tel parquet européen «d’utopie».

Il est vrai que d’un point de vue français, c’est une utopie totale puisque le parquet national français tel qu’il existe est un parquet hiérarchisé certes, mais non indépendant.

Ce système n’a pas que des inconvénients, raison pour laquelle la France ne l’a toujours pas abandonné malgré de nombreux débats depuis des décennies.

Nonobstant, si ce système ne pose pas de difficultés institutionnelles en France où le parquet est rattaché au Ministère de la Justice, il serait très difficile d’imaginer un parquet subordonné à l’exécutif européen, d’autant que celui-ci ne pourrait être que la Commission dont nous savons tous qu’elle n’est pas, à proprement parler, un exécutif. Dans tous les cas, cette conception ne peut que conduire à un parquet européen qui serait une Eurojust rebaptisée, ce qui n’est pas à la hauteur des enjeux.

De nombreux pays se sont convertis à l’instauration d’un parquet indépendant des organes gouvernementaux, notamment l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Pour ceux-là, un procureur européen à vocation plus fédérale ne devrait pas rencontrer d’opposition frontale. D’ailleurs, lors de sa présidence, l’Italie a essayé de faire avancer cette solution.

Rien n’empêcherait – et c’est d’ailleurs ce qui est déjà prévu – que ce procureur européen dispose d’un vice-procureur dans chacun des Etats membres, ce qui constituerait la partie réaliste des préconisations du Conseil d’Etat français.

Enfin, l’instauration de ce procureur européen (ou de ce parquet européen), expressément prévue par le traité de Lisbonne, viendrait combler une lacune dans l’Etat de droit au sein de l’Union européenne, et constituerait une réponse de pur bon sens à cette espèce de hiatus entre la réalité d’un crime organisé de manière transnationale et sa répression uniquement nationale…

C’était exactement le dilemme auquel étaient confrontés les Etats-Unis lors de la prohibition, qui ne leur permettait pas de poursuivre les grands criminels (Al Capone a été condamné à la prison pour fraude fiscale…), et auquel il a été mis fin par la création d’une police fédérale (le FBI), d’un parquet fédéral et d’une justice pénale fédérale.

C’est exactement la même tâche à laquelle l’Europe doit aujourd’hui s’atteler et nous ne pouvons plus attendre même si pour cela il faudra instaurer ce procureur européen au moyen d’une coopération renforcée. 

 

 

Pour le Mouvement Européen-France Pour le Mouvement Européen-Italie
Jean-Marie CAVADAPrésident  Pier-Virgilio DASTOLIPrésident
Jean Pierre SPITZERSecrétaire général Fabio MASINISecrétaire général

Crédit photo : commons.wikipedia.org

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Julien CARPENTIER

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