Les propositions de nature législative et réglementaire du Mouvement Européen-France
28 février 2020
La hausse bienvenue de la participation aux dernières élections européennes en France et en Europe est intervenue en dépit d’un défaut d’information chronique sur l’actualité de l’Union européenne dans notre pays. 73% des Français se déclarent mal informés sur les questions européennes[1]. Ce qui place la France au dernier rang de l’ensemble des Etats-membres, derrière la Grèce ou la Hongrie par exemple.
Le paysage médiatique radiophonique et télévisuel français affiche une difficulté importante à couvrir l’actualité de l’UE. On observe que seuls 3% du temps d’antenne des journaux diffusés par les principales chaînes de télévision et de radio française en 2016-2017 est consacré à l’actualité communautaire[2]. L’exposition des enjeux européens est majoritairement portée par des chaînes du service public. France 24, Arte, et dans une bien moindre mesure, France 2 se distinguent par leur traitement du sujet. A l’inverse, le JT le plus regardé de France, le 20H de TF1, n’y a consacré qu’1,4% de ses sujets en 2018. Un résultat insuffisant, à l’image de celui de nombreuses chaînes privées mais également de canaux publics tels que France 3, France Inter et France Info[3].
Le « projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique »[4] offre une fenêtre d’opportunité concrète d’améliorer cet état de fait. A cette fin, le Mouvement Européen-France s’est mobilisé sur le volet législatif afin de proposer une série d’amendements ayant pour objet de renforcer la visibilité de l’Union européenne au sein de l’offre audiovisuelle publique.
Nos propositions se sont axées autour de deux priorités. D’une part, s’agissant des missions de service public (art 43-11 de la loi de 1986) afin d’y intégrer une dimension européenne et d’autre part s’agissant des mécanismes de suivi desdites missions par la mise en place d’indicateurs quantifiables au sein des conventions stratégiques pluriannuelles et cahiers des charges. Pour autant, le volet législatif ne peut se suffire à lui-même, et notamment s’agissant des modalités de suivi de la loi, pour lesquelles l’échelon réglementaire reste le plus pertinent.
Domaine législatif
I. Récapitulatif des avancées sur le plan législatif en vue de l’examen en Commission des Affaires culturelles (à partir du 3 mars 2020)
Objectif n°1 : Européaniser les missions du service public audiovisuel (article 43-11 de la loi de 1986 ; article 59 du PJL)
Amendement (article 59 PJL)[5]
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- À l’alinéa 31, après les mots : « l’actualité », insérer les mots : « européenne et ».
Présenté par Barbara Bessot Ballot (LaREM) et adopté en Commission des affaires culturelles - A l’alinéa 21, insérer l’alinéa suivant : « 2° bis (nouveau) Inscrivent l’Union européenne, ses valeurs, et l’activité de ses institutions dans leur mission d’information »
Présenté par Aurore Bergé (LaREM) et adopté en Commission des affaires culturelles - Compléter à l’alinéa 13 après les mots « la conscience civique » les mots suivants : « française et européenne »
Présenté par Christine Hennion (LaREM) et refusé en Commission des affaires culturelles
- À l’alinéa 31, après les mots : « l’actualité », insérer les mots : « européenne et ».
Objectif n°2 : Initier la définition d’objectifs et de contrôle liés aux missions de couverture de l’actualité de l’Union européenne des sociétés de l’audiovisuel public
Amendement (article 59 PJL)
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- L’alinéa 134 est ainsi reformulé : « Avant leur signature, les conventions stratégiques pluriannuelles ainsi que les éventuels avenants à ces conventions sont transmis aux commissions chargées des affaires européennes de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui peuvent formuler des observations à leur sujet dans un délai de trois semaines(…) »
- L’alinéa 137 est ainsi reformulé : « Chaque année, avant la discussion du projet de loi de règlement, les sociétés France Médias et ARTE-France présentent aux commissions chargées des affaires culturelles, des finances, des affaires étrangères et des affaires européennes de l’Assemblée nationale et du Sénat un rapport sur l’exécution de sa convention stratégique pluriannuelle. »Non adoptés en commission des affaires culturelles et présentés par Caroline Janvier (LaREM).
II/ Récapitulatif des propositions sur plan législatif en vue de l’examen en séance plénière (mars/avril 2020)
Objectif n°3 : Inscrire le principe de la mise en place d’indicateurs quantifiables mesurant le suivi des missions de service public
Amendement (article 59 PJL)
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- Option 1 : Après l’alinéa 169 ajouter un nouvel alinéa: «Les cahiers des charges de ces sociétés déterminent également des indicateurs chiffrés permettant de mesurer le traitement de l’information de l’actualité européenne . »
- Option 2 : Compléter à l’alinéa 58 après « Ces conventions déterminent notamment, dans le respect des missions de service public telles définies à l’article 43-11 pour chaque société » les mots suivants : « des indicateurs formel et quantifiables garantissant et facilitant le suivi et le contrôle de ces missions »
- Option 2 bis : Compléter à l’alinéa 38, après les mots suivants : « en temps de crise. » «Le cahier des charges garantit le respect des indicateurs formels et quantifiables définis au sein des conventions stratégiques pluriannuelles. »
Domaine réglementaire – Nos propositions
I. Revue des cahiers des charges : préciser les missions des sociétés de l’audiovisuel public et aligner par le haut les attentes formulées dans leurs cahiers des charges vis-à-vis de la couverture de l’actualité de l’Union européenne
A date, les futures composantes de France Médias ont, dans leurs cahiers des charges, des obligations disparates vis-à-vis de l’actualité européenne.
Les cahiers des charges de France Médias Monde et France Télévisions font mention de l’ambition éditoriale que doivent se donner les deux groupes dans le traitement des affaires communautaires. A l’inverse, le cahier des Charges de Radio France ne comporte aucune mention ayant trait à l’Union européenne. Ce qui restreint la capacité d’objectiver les radios publiques sur plan et limite le CSA – et demain l’ARCOM – dans sa mission de contrôle.
En ce sens, la création de France Médias donne l’occasion d’aligner les attentes spécifiées dans ces trois cahiers des charges, sur la base de deux principes :
- Mentionner les institutions européennes au même titre que les institutions nationales dans les paragraphes ayant trait aux missions de couverture du débat public
- Harmoniser et aligner le niveau d’exigences attendus des chaînes des trois sociétés de France Médias
Pour aller plus loin, voir : « Plus d’Europe dans les médias français », J-M. Baer & T. Verdier, Institut Jacques Delors, Novembre 2019
II. Intégrer à la future convention stratégique pluriannuelle des indicateurs chiffrés afin de garantir et contrôler le suivi des missions de service public par France Médias
Plusieurs amendements – allant dans le sens d’un traitement renforcé de l’actualité européenne – ont été déposés à l’Assemblée nationale en vue d’européaniser les missions du service public de l’audiovisuel français[6]. Néanmoins, à ce jour, aucune disposition du projet de loi ni aucun amendement ne porte sur la mise en place d’instruments de contrôle permettant de mesurer le respect desdites missions.
Or, le contrôle et le suivi par le Ministère de la Culture et l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) de ces missions ne pourront être efficaces et précis sans outils quantifiables. Yannick Letranchant lui-même, Délégué général à l’information de France Télévisions, explique que « la progression ne peut être mesurée que si on se donne les moyens de l’évaluation, y compris quantitative »[7].
La mise en place de tels indicateurs de la couverture de l’actualité de l’Union européenne au sein de la future convention stratégique pluriannuelle (CSP) de France Médias apparaît comme la solution la plus pertinente, à deux niveaux :
- Des indicateurs quantifiables et objectifs constituent le seul moyen pour l’Etat de fixer des objectifs aux différentes composantes de l’audiovisuel public. Ainsi que de mesurer leur progression vis-à-vis de leur mission essentielle dans le traitement des questions européennes.
- Elle permet également aux rédactions concernées de mesurer par elles-mêmes leurs résultats vis-à-vis de la mission de service public qui leur a été confiée. Or, actuellement, aucune rédaction télévisée n’est en mesure de tenir le décompte des thématiques qu’elle met le plus en avant. L’exécutif pousserait ainsi ici à la création d’outils de bonne gestion.
Ces indicateurs quantifiables et objectifs devront reposer en premier lieu sur des indications quantitatives relatives à la visibilité accordée aux enjeux communautaires. Ces indicateurs restent à définir. Ils peuvent cependant être largement inspirés des mesures mises en place sur l’Outre-Mer ainsi que des travaux menés par l’INA et la Fondation Jean Jaurès sur ces questions.
Des mesures qualitatives, à l’image de l’enquête d’opinion actuellement définie par le COM de France Télévisions, pourront également intégrer la dimension européenne.
III. Vers un Pacte pour « Plus de visibilité de l’Union européenne dans les médias »
En s’inspirant du Pacte « Pour plus de visibilité de l’Outre-Mer dans les médias »[8], et constatant le peu de place accordée à l’Union au sein de l’offre médiatique actuelle, nous suggérons plusieurs mesures et propositions que nous avons calquées sur le Pacte et adaptées à l’Union Européenne.
a) Renforcer le traitement de l’information sur l’Union européenne [9]
- Faire progresser, en la mesurant annuellement à l’aune de l’actualité, la représentation de l’Union européenne dans les grandes éditions nationales de l’information.
Indicateur : Nombre annuel de sujets européens dans les éditions nationales de l’information (radiotélévisées et télévisées) - Proposer chaque année une opération évènementielle consacrée à l’Union européenne, mobilisant plusieurs chaines, genres et émissions sur une durée significative. (Exemple : émission en direct sur le Parvis de l’Hôtel de Ville de Paris à l’occasion de la fête de l’Europe)
- S’assurer du contact avec le public et mesurer l’évolution de sa perception.
Indicateurs :
– Couverture hebdomadaire des programmes européens (nombre de français ayant regardé au moins un programme dédié à l’Union européenne par semaine
– Note de perception de la visibilité de l’Union européenne sur les chaînes audiovisuelles nationales – Note de perception de la visibilité de l’Union européenne dans l’information
b) Renforcer les moyens logistiques et humains ainsi que le volet formation
- La mise en place, à l’occasion de la création de la holding France Médias, d’un pôle Bruxellois commun aux chaînes, avec des effectifs renforcés. [10]
- L’envoi plus systématique de journalistes aux séminaires gratuits organisés par la Commission Européenne.
- Veiller à mobiliser les équipes et moyens disponibles du « Pôle Europe» pour la fabrication de programmes linéaires et numériques du groupe.
- La mise en place d’un annuaire des experts européens.
c) La mise en place d’un mécanisme de suivi et de contrôle de ces objectifs
Au sein d’un pacte, nous pourrions ajouter des dispositions afin de garantir le contrôle et le suivi de ces dispositions :
- Créer et animer un Comité de suivi du Pacte
- Rendre annuellement et publiquement compte de la mise en œuvre des engagements et indicateurs du Pacte
[1] « Eurobaromètre standard 88 », Rapport pour la Commission européenne, 15 mai 2018
[2]. Voir Rémy Broc, Théo Verdier, « L’Union européenne, grande absente des journaux télévisés » ; Fondation Jean Jaurès, 17 Mars 2019.
[3]. Idem
[4]. Voir projet de loi
[5]. Plusieurs autres amendements présentés par les Députés Jean-Louis Bourlanges, Christine Hennion, Caroline Janvier et Pieyre-Alexandre Anglade ont été refusés en Commission des affaires culturelles.
[6]. Les amendements déposés portent sur : les valeurs de l’Union européenne, la conscience civique
européenne, l’action institutionnelle de l’Union et l’actualité européenne.
[7]. Voir l’étude « Plus d’Europe dans les médias français », Institut Jacques Delors.
[8]. Voir Pacte pour plus de visibilité de l’Outre-Mer dans les médias
[9]. S’agissant du traitement de l’information européenne, nous proposons une définition. Il s’agirait de « toute action ayant trait à : l’actualité européenne en tant que corps politique (1), à son action (2), à ses institutions (3) et à ses relations avec les Etats membres (4).
[10]. Pour rappel, « Si France Télévisions a deux correspondants à Bruxelles, la ZDF allemande compte 21 membres de son personnel accrédité auprès des institutions européennes. La radio allemande ARD compte elle 45 personnes accréditées selon les chiffres de la DG Communication de la Commission européenne » , voir l’étude « Plus d’Europe dans les médias français », Institut Jacques Delors
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