Résolution du MEI sur le partenariat transatlantique de commerce et investissement,
AG du 28 novembre 2014 à Rome
Les négociations TTIP
Les négociations sur le partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (TTIP) entre l’Union européenne et les États-Unis ont été lancées en Juillet 2013.Les négociations résultaient des discussions de longue date sur l’opportunité d’un accord commercial global entre l’UE et les États-Unis. La persistance de la crise économique et l’impasse prévisible des négociations de l’OMC à Dohaont rendu la perspective d’un coup de pouce à la croissance économique età la création d’emplois en Europe et aux États-Unis particulièrement attrayante. En outre, l’on s’attendait à ce qu’un accord global de commerce et d’investissement entre l’UE et les États-Unis crée un standard mondial pour de futurs accords de commerce et d’investissement.
Cependant, tandis qu’aussi bien l’UE que les États-Unis attentent beaucoup des avantages économiques que ces négociations pourraient apporter, le grand intérêt que porte le public au TTIP signifieque probablement jamais dans l’histoire de l’Union européenne un accord commercial n’aura suscité autant de débat. Les négociations font l’objet d’un intérêt du public et des média sans précédent et sont soumises à un examen public minutieux. L’agitation publique sur l’Accord commercial anti-contrefaçon de 2012, et l’échec ultérieur de celui-ci, ont éveillé la méfiance de nombreux citoyens, organisations de la société civile et ONG envers les négociations commerciales confidentielles menées par la Commission européenne. De ce fait, les attentes des différents acteurs en matière de transparence sont plus fortes que jamais.
Les objections concernant la confidentialité des négociations résultent également de la crainte, de ce côté de l’Atlantique, que l’UE ne soit pas assez forte pour mener des négociations avec les Etats-Unis. En particulier, les ONG et organisations de la société civile craignent qu’un accord avec un partenaire aussi puissant puissesaper les normes de l’UE sur la protection environnementale, le droit du travail et le salaire minimum, la protection des données intellectuelles et la sécurité alimentaire, car à bien des égards, les normes et règlementations américaines diffèrent fondamentalement de la législation européenne.
Les associations de consommateurs et les syndicats ont également exhorté les fonctionnaires de l’UE et des États-Unis à ne pas inclure les mécanismes de règlement des différends Investisseur-État (ISDS) dans le traité car ceci pourrait mener à une structure non-démocratique des tribunaux, en contournant les procéduresde justice nationales, et ainsi miner le droit des États et autres niveaux de pouvoir àlégiférer. En ce qui concerne les marchés publics, l’on craint qu’aux Etats Uniscela ne concerneque les marchés du gouvernement fédéral, alors qu’en Europe, selon la réglementation du marché intérieur, les dispositions s’appliqueraient également aux autorités locales et régionales, conduisant à undéséquilibre.
La Position du Mouvement Européen
Pour répondre aux préoccupations soulevées par les organisations de la société civile concernant les négociations du TTIP, le Mouvement Européen International a organisé deux cycles de débats TTIP en 2014. Les débats ont réunis différents acteurs afin d’approcher le TTIP sous différents angles, et donc créer un environnement propice à une discussion équilibrée, et néanmoins diversifiée. Les débats ont abordé non seulement les préoccupations mentionnées ci-dessus, mais aussi l’impact du TTIP sur les pays candidat et candidats potentiels à l’adhésion européenne, les pays de l’AELE, et les Etats membres de l’UE qui ont été le plus durement touchés par la crise économique.
Il est clair que les États membres de l’Union européenne bénéficieront du TTIP en termes de croissance économique et de création d’emplois. Les études suggèrent que la taille de l’économie Européenne croîtrait de 120 milliards d’euros, soit 0,5% du PIB, et qu’un ménage européen moyen bénéficierait de 500 € en plus par an[1]. La mise en œuvre du TTIP aura un impact profond sur l’économie de l’UE, des Etats-Unis et du monde, car il fera fonction de standard mondial pour les accords de commerce et d’investissement futurs. Compte tenu de cette position, le Mouvement Européen International souligne la nécessité de reconnaître et de répondre à toutes les préoccupations exprimées par les diverses parties prenantes à ces négociations.
La clé pour atteindre ce but est la transparence. À première vue, la Commission européenne semble reconnaître l’importance de l’implication des parties prenantes dans les négociations, et a publié une stratégie de consultation publique, incluant consultations en ligne, publication régulière de documents et des comptes rendus au Parlement européen, allant« au-delà ce qui est imposé par la législation européenne »[2]. Le Mouvement Européen reconnaît les efforts déployés jusqu’à présent par la Commission européenne en termes de renforcement de la transparence et d’ouverture des négociations.
Malgré cela, la Commission européenne continue à affirmer qu’afin de garantir le succès des négociations commerciales, celles-ci doivent être accompagnées d’un certain degré de confidentialité. Le désaccord avec certaines ONG, certaines organisations de la société civile et certains Parlementaires européens sur ce point engendre une spirale négative et augmente les confrontations. Le Groupe consultatif TTIP, qui a été créé pour confirmer « la promesse de la Commission de garantir un dialogue et des échanges avec toutes les parties prenantes dans les pourparlers du TTIP, afin d’atteindre le meilleur résultat pour les citoyens européens » n’est toujours pas impliqué dans le processus de négociation dans une mesure qui satisferait les attentes de la société civile. Au lieu de cela, les intérêts des milieux commerciaux sont surreprésentés, aussi bien au sein du comité de négociation des Etats-Unis (clairement visible dans les comités consultatifs officiels de commerce américains) qu’au sein du comité de négociation de l’UE (évident au vu de la liste des intervenants dans les différentes réunions et consultations). Il semble dès lors évident que la Commission européenne continue de mal interpréter le concept de « stakeholder » et la nécessité d’un débat réellement transparent.
Recommandations
Le Mouvement Européen encourage la Commission européenne à poursuivre les mesures positives déjà prises dans le domaine de la transparence et de la participation des citoyens, par un engagement plus profond dans le dialogue civil et via des consultations systématiques à chaque étape des discussions. Une participation accrue des citoyens peut être atteinte grâce à des consultations régulières avec les organisations de la société civile ainsi que la pleine participation du Groupe consultatif TTIP dans les négociations. Un accès illimité aux documents devra leur être fourni et la publication systématique de leurs avis devra être garantie. En outre, la publication régulière de documents sur l’état des négociations devrait inclure plus d’informations détaillées sur le contenu du TTIP, car l’information actuelle est principalement basée sur des documents ayant fait l’objet de fuites. Afin d’accroître la transparence des négociations, la Commission européenne devrait également publier les listes régulièrement mises à jour des réunions avec les intervenants et les documents de négociation qui circulent, indiquant qui a obtenu l’accès à ces documents.
Le Mouvement Européen encourage également le Parlement européen à poursuivre son implication dans les négociations du TTIP et à remplir son rôle de garde-fou en supervisant la reconnaissance des préoccupations qu’engendrent les accords et l’incorporation des amendements dans les textes. Afin de garantir ce rôle, le Mouvement Européen demande à la Commission européenne de tenir ses promesses et de donner aux Parlementaires européens un accès illimité aux documents relatifs aux négociations.
En ce qui concerne les prochains tours de négociations, le Mouvement Européen invite les équipes de négociation à prendre en considération les préoccupations qui émergent régulièrement dans les débats impliquant les ONG, les OSC, les associations de consommateurs et les organisations syndicales, et de s’assurer qu’elles sont bien représentées à la table de négociation. Ceci comprend les craintes au sujet des compromis sur les normes environnementales; les normes bancaires, les normes sur produits et aliments; les normes du travail, les salaires et la protection des consommateurs; les flux et la protection des données; la réglementation des nouvelles technologies; les marchés publics et les respect des normes internationales, ainsi que les préoccupations liées au mécanisme ISDS qui pourrait entraver le droit des États à légiférer et les contraindre à payer de fortes compensations aux investisseurs étrangers. Le Mouvement Européen invite la Commission Européenneà garantir que l’accord préserve les plus hauts standards environnementaux et de consommation déjà en place (et ce des deux côtés de l’Atlantique).
L’impact du TTIP sur les pays ne faisant pas partie de l’Union Européenne devrait également être pris en compte. On peut s’attendre à ce que le TTIP ait un impact profond sur les économies des pays européens et des pays candidats potentiels, ainsi que des pays de l’AELE: soit négativement par le détournement des échanges, ou positivement, s’ils sont ou deviennent partie intégrante du Marché intérieur européen. Etant donné que ces pays sont absents de la table de négociation, le Mouvement Européen invite l’équipe de négociation de l’Union Européenne à porter une attention particulière aux effets du TTIP sur ces pays et d’inclure leurs opinions dans la position de l’UE. En outre, le Mouvement Européen invite la Commission européenne à évaluer soigneusement l’effet de certaines dispositions du TTIP, en particulier le mécanisme de l’ISDS, sur les Etats membres européens en crise et qui sont déjà impliqués dans un nombre croissant de procès Investisseur-État.
Le Mouvement Européen est convaincu que la réalisation d’un compromis satisfaisant des deux côtés de l’Atlantique est à la fois possible et souhaitable. Alors que l’Union Européenne a déjà réussi à établir un marché intérieur parmi ses 28 Etats membres, établir un pont entre les Etats-Unis et l’UE en adoptant des règles et normes communes, tout en maintenant les plus hauts niveaux de protection réglementaire, est un pari audacieux, mais pas une tâche impossible. Le Mouvement Européen accueille favorablement le TTIP pour les impacts positifs qu’il apportera à la fois à l’économie européenne et au marché de l’emploi, mais pas à n’importe quel prix: c’est seulement si les préoccupations de tous les acteurs sont prises en compte pleinement et ouvertement, que le TTIP a une chance de réussir.
(TTIP=Transatlantic Trade and Investment Parnership; TAFTA=Transatlantic Free Trade Area
OSC=Organisations de la Société Civile; ONG=Organisations Non Gouvernementales)