Lundi 18 juin l’Association Réalités et Relations internationales (ARRI), organisation nationale membre du Mouvement Européen, a invité Clément Therme, chercheur à l’International Institute for Strategic Studies pour une conférence sur le thème : « L’Iran et la communauté internationale : l’impossible normalisation ? »
« Un cadre juridique en retard sur les évolutions sociales »
Pour Clément Therme, l’opinion publique de la population iranienne est en avance par rapport au cadre juridique iranien. La République islamique est un système politique théocratique, ce qui explique en partie la difficulté de faire évoluer la législation. La population iranienne est pourtant « en quête de plus de liberté, notamment sur les questions des droits de la femme ». Bien que les femmes en Iran bénéficient globalement de plus de droits que dans les pays voisins, ces droits ont été restreints depuis la révolution iranienne.
« Aujourd’hui de nombreuses femmes militent contre le port obligatoire du voile islamique. »
La population iranienne est également peu confiante en l’avenir. Elle s’appauvrit depuis 40 ans et ne voit pas de réelles solutions d’avenir à court terme. Cette lassitude engendre une « fuite de cerveaux ». De nombreux étudiants issus de milieux favorisés partent étudier et travailler dans des pays occidentaux, comme les États-Unis.
La dissonance entre une politique conservatrice se pliant à l’idéologie islamiste et le désir populaire d’une ouverture économique et culturelle sur le monde s’illustre, selon Clément Therme par « des relations souvent difficiles avec la communauté internationale ».
La contradiction entre l’anti-américanisation et l’avancée dans la mondialisation
L’avènement du régime révolutionnaire de l’ayatollah Khomeini en 1979 marque un tournant dans l’histoire des relations entre les Etats-Unis et l’Iran. Ce régime, qualifié de « petro-théocratie parlementaire et milicienne » par Clément Therme, fait face à ses propres contradictions : d’une part le pays s’ouvre dans un contexte de mondialisation soumis à des contraintes économiques. D’autre part, cette ouverture est contrariée par la rhétorique idéologique d’anti-américanisation.
Le chercheur met en évidence la stratégie du gouvernement américain d’Obama de « privilégier la diplomatie à la guerre » qui a permis, à partir de 2013, une amélioration des relations entre les deux pays. L’élection d’Hassan Rohani en août 2013 accélère ce rapprochement qui aboutit le 14 juillet 2015 à l’Accord international sur le programme nucléaire iranien.
Mais ce rapprochement est par la suite mis à mal par la politique étrangère du Président actuel Donald Trump qui a pris la décision de retirer les Etats-Unis de l’accord. Pour Clément Therme, l’objectif de Trump aujourd’hui est « de revenir à la politique de George W. Bush ». Néanmoins, l’Iran a aujourd’hui les capacités de faire face aux sanctions américaines. Du point de vue du chercheur, le pays bénéficie d’une part de fonds propres et d’autre part d’un contexte mondial actuel qui lui est favorable. En effet, la communauté internationale ne forme plus un front aussi uni contre l’Iran que sous la présidence de George Bush.
L’influence de l’Union européenne
Cette tension grandissante entre l’Iran et les États-Unis ébranle également les relations avec l’Union européenne. Auparavant l’UE était le premier partenaire commercial de l’Iran. En 2005, l’accord de commerce et de coopération conclu trois ans plus tôt est suspendu, limitant les échanges commerciaux entre le vieux continent et l’Iran. Suite à cela, la Chine devient le principale partenaire commercial du pays.
Le retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien place l’Union dans une position délicate. En effet, l’Iran est en attente de compensation financière de la part de l’UE pour faire face aux sanctions américaines. Selon Clément Therme, la stratégie actuelle du Quai d’Orsay revient à « récompenser économiquement les iraniens en échange du maintien de l’accord ». Mais cette stratégie n’est possible que si les entreprises la suivent. Or aujourd’hui de nombreuses entreprises quittent l’Iran par crainte des sanctions américaines. Clément Therme souligne à ce titre que « c’est une illusion de croire que les échanges commerciaux vont faire évoluer la politique ». La deuxième erreur de l’Union européenne, selon l’intervenant, est de considérer le président Hassan Rohani comme l’interlocuteur privilégié alors que le Guide suprême, Ali Khamenei, a bien plus de pouvoir que le président.
Un pays qui se tourne vers l’Asie
Face à ses relations tendues avec les pays occidentaux, l’Iran se tourne vers l’Asie. Sur le plan économique, les relations commerciales avec l’Inde semblent compliquées car, comme le précise Clément Therme, le pays risque de suivre la politique de sanctions menée par les Etats-Unis.
La Chine apparait donc comme un partenaire privilégié. Contrairement à l’Euro, le Yuan, la monnaie chinoise, n’est pas librement convertible en dollar, permettant ainsi de contourner les sanctions américaines. Clément Therme met également en évidence la créativité commerciale de la Chine, qui n’hésite pas à se servir du troc. D’ailleurs, il note que l’Iran « ne soutient pas les musulmans opprimés en Chine », ce qui atteste d’une stratégie politique qui vise avant tout à rapprocher les deux États.
L’avenir incertain de l’Iran
Clément Therme conclut qu’à long terme, tous les experts sont optimistes sur une démocratisation de la société iranienne. Mais ce scénario est obstrué par un président qui « n’as pas assez de pouvoir face au Guide suprême ». Cependant, il pressent qu’à court terme, l’Iran ira « vers un scénario de militarisation du régime islamique » et craint « qu’à la disparition du Guide, les Gardiens de la révolution dominent le système politique », marginalisant encore davantage le pays sur la scène internationale.