Monsieur le Président de la République,
Nous vous écrivons au nom des Jeunes Européens – France, du Mouvement européen – France et de l’Union des fédéralistes Européens – France, organisations politiques non partisanes qui défendent une Europe plus démocratique, plus unie et à terme, plus fédérale. Nés au lendemain de la seconde guerre mondiale et issus de la Résistance, nos mouvements ont participé activement à la construction européenne depuis le Congrès fondateur de la Haye en 1948. Le 9 juillet dernier, nos organisations et l’Union européenne célébraient le 40ème anniversaire de la fondation du Club du Crocodile, le précurseur du Groupe Spinelli au Parlement européen.
Ce groupe de premiers députés européens fédéralistes conduit par le député Altiero Spinelli, fondateur de l’Union des fédéralistes européens en 1946, a travaillé sans relâche à la poursuite d’une Europe démocratique et unie. Grâce à leur travail engagé en tant que premiers députés élus au suffrage universel direct, le Parlement européen (1979-1984) a rédigé le Traité sur l’Union Européenne, dont le but était de tracer la voie vers une Union dotée d’un cadre constitutionnel. Le « traité de Spinelli » a ainsi créé une véritable dynamique et fortement influencé l’Acte Unique européen de 1986, sans pourtant que l’intégration européenne n’aille à l’époque aussi loin qu’elle aurait dû.
Monsieur le Président, la douleur provoquée par le coronavirus a créé un élan tout aussi nouveau et important pour l’Europe, c’est pourquoi, en tant que mouvements trans-partisans étroitement liés à la construction européenne, nous vous écrivons aujourd’hui. Nous pensons qu’il est du devoir des dirigeants européens de redéfinir et de refonder l’Union afin d’être à la hauteur des attentes des citoyens européens.
Dans le cadre des négociations en cours, nous, Européens qui croyons en une Europe libre, démocratique, unie et solidaire, exhortons les dirigeants nationaux européens, à faire un grand pas en avant, en donnant vie à un avenir plus ambitieux pour l’Europe. En ces temps de grande crise, la résilience des institutions européennes a donné de l’espoir aux citoyens européens. Ce n’est pourtant pas suffisant. L’impact de la crise du coronavirus sur notre économie est sans précédent. Cette crise révèle, plus profondément encore que d’autres avant elle, la nécessité de créer des institutions démocratiques et fédérales capables de mieux gouverner face à des défis supranationaux, offrant un modèle pour poursuivre l’intérêt commun des citoyens, et pour sauvegarder nos valeurs européennes communes, au premier rang desquelles, la solidarité. En un mot, le temps est venu pour une véritable Europe fédérale.
Lors des négociations européennes en cours, les dirigeants européens ont la responsabilité d’apporter une réponse proportionnelle à l’ampleur des défis auxquels sont confrontés nos concitoyens européens. Le plan de relance « Next Generation EU » et le nouveau cadre financier pluriannuel doivent être financés grâce à de nouvelles ressources propres, avec toute la puissance de notre ambition commune. Nous comprenons qu’il y ait des réserves de la part de certains dirigeants nationaux sur l’ampleur sans précédent des emprunts à contracter ou sur le développement de l’indépendance financière du budget de l’UE grâce à la création de véritables ressources propres. Cependant, ces réserves peuvent être levées en insistant sur le fait que ces circonstances exceptionnelles nécessitent des mesures exceptionnelles.
Par ailleurs, l’Union dispose d’un atout considérable à exploiter face autres grandes puissances : sa dette propre est aujourd’hui inexistante alors que celle des Etats-Unis et de la Chine s’élèvent désormais à plusieurs dizaines de milliards de dollars. Elle dispose donc d’une capacité d’investissement qui lui permettrait de prendre le leadership mondial dans un certain nombre de domaines, tout en soutenant les efforts de reconstruction des Etats membres.
Avec des ressources propres nouvelles, c’est aussi l’occasion de s’engager dans la mutualisation de dépenses qui seraient plus pertinentes et efficaces si elles sont mises en commun, par exemple en matière de recherche, d’enseignement supérieur, de défense, de santé, d’innovation, ou de transition écologique. Cela permettrait d’ouvrir progressivement la voie à une réduction des contributions nationales des Etats membres qui pourraient donc recentrer leur action et leurs ressources nationales sur la satisfaction des besoins de service public du quotidien de leurs concitoyens. Les Etats et l’Union gagneraient ainsi en autonomie dans leurs compétences respectives, et ce changement de paradigme serait également de nature à convaincre de manière déterminante les Etats les plus réticents aujourd’hui.
C’est aujourd’hui que nous devons établir le principe du financement européen des mesures publiques européennes. Si nous n’avons pas le courage de prendre ces mesures nécessaires en tant qu’Européens, les livres d’histoire se souviendront de nous pour avoir manqué de courage et d’ambition face à cette crise. Les citoyens européens ont exprimé à maintes reprises leur souhait que l’Union soit dotée des pouvoirs nécessaires pour répondre aux crises futures et de protéger leur bien-être. La simple écoute ne suffira pas cette fois-ci. Il est temps que les citoyens que la société civile et les décideurs discutent ensemble, sans réserve, de l’orientation que devrait prendre l’Europe. Cela inclut le partage des compétences entre l’Union européenne, les États membres et les collectivités locales, et l’architecture institutionnelle même de l’Union.
Alors que l’Europe est menacée par le coronavirus, il convient donc également d’adopter dès que possible un accord sur le processus, les méthodes et les objectifs de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Cette feuille de route doit refléter l’urgence de discuter et de réformer l’Union européenne car son cadre institutionnel et juridique actuel est inadapté pour relever de nouveaux défis géopolitiques et civiques. Par conséquent, la Conférence devra faire le point sur les limites et les améliorations à apporter l’UE, en se donnant les outils nécessaires à son ambition. Cette ambition doit inclure la nécessité d’une assemblée constituante au regard de l’enjeu. Nous vous demandons d’apporter votre soutien à la clarification nécessaire du rôle de la société civile et des citoyens et la manière dont leurs contributions sera prise en compte. Il est essentiel que la Conférence dispose d’un mandat politique clair, et qui soit suivi d’effets.
Les dirigeants européens disposent aujourd’hui de l’opportunité de répondre à la crise sanitaire inédite que nous vivons aujourd’hui par un même élan et d’être à la hauteur des enjeux historiques qui s’imposent à eux.
Nous vous remercions de bien vouloir prendre en considération notre requête et nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre très haute considération.
Marie Caillaud
Présidente des Jeunes européens – France
Yves Bertoncini
Président du Mouvement européen – France
Ophélie Omnes
Présidente de l’Union des fédéralistes européens – France