Les origines du Mouvement Européen

Nous sommes en 2020 et le projet européen n’a pas fini de faire couler de l’encre. Nous pourrions nous retourner vers chaque étape de sa construction ou sur chaque étoile ajoutée à son drapeau mais ce serait oublier que sans vision fondatrice, il n’y aurait ni étape ni même de drapeau.

Si cette vision a pu s’accomplir c’est grâce à l’action de femmes et d’hommes dédiés à l’idée d’une Europe unie. Parmi ces acteurs, le Mouvement Européen qui opère en France depuis 1950. Nous vous proposons de laisser les soubresauts de la politique actuelle l’espace d’un instant pour revenir sur la genèse de notre mouvement et ainsi en découvrir ses architectes.

 

Ce retour dans le temps nous est permis par la découverte d’une photo retrouvée dans les archives européennes. La photo en question a été prise seulement trois années après la fin du conflit à Paris devant le Quai d’Orsay. La photo date plus précisément du 9 décembre 1948 et montre la première délégation du Mouvement Européen à Paris, sur le point d’exposer l’idée d’un parlement européen. Les graines d’un parlement pan-européen avaient donc déjà commencé à germer près de trois décennies avant sa réalisation. Si l’Europe a ses pères fondateurs, il est temps de donner les siens au Mouvement Européen :

 

Francis Leenhardt (Français) : Ce marseillais de naissance a été un résistant de la première heure. Sous le pseudonyme de « Lionel », il alimente le réseau clandestin d’information « Phalynx » et devient rapidement délégué national du Mouvement de Libération National et créé à ce titre des comités de libération clandestins, d’abord dans la Zone sud et puis dans le reste du pays. Fort de son expérience en journalisme clandestin, Fancis Leenhardt transforme La République, un modeste quotidien de Toulon en ce qui deviendra Var-Matin. Au lendemain de l’armistice, Francis Leenhardt se lance en politique en créant l’Union Démocratique et Socialiste de la Résistance aux côtés de François Mitterand. Il sera néanmoins élu à l’Assemblée Constituante sous l’étiquette du SFIO en 1945 et réélu pas moins de cinq fois à l’Assemblée nationale.

 

Etienne de la Vallée Poussin (Belge) : Docteur en droit, il représente un arrondissement de Bruxelles en tant que sénateur de 1946 à 1961 puis sénateur coopté jusqu’en 1968. Il s’impliquera dès les années 50 à la cause européenne en faisant parti de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe de 1952 à 1954. Membre du Conseil d’Administration du Comité belge de la Ligue Européenne de Coopération Économique, il devient ensuite président du Conseil belge du Mouvement Européen.

 

Duncan Sandys (Britannique) : Gendre de Winston Churchill, Duncan Sandys représentera le sud de Londres au Parlement avant de rejoindre le 51e corps d’artillerie royale. Déployé en Norvège, il recevra une blessure qui le fera boiter le reste de sa vie et qui explique la canne présente sur la photographie. Après quatre années passées au Cabinet de Guerre en tant que ministre des Finances de Guerre, Duncan Sandys s’investit dans la cause européenne en assistant à l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe de 1950 à 1951. Son héritage européen reste néanmoins la création du European Movement – United Kingdom en 1947, avec le soutien transpartisan du Premier Ministre travailliste Clement Atlee et du leader de l’opposition Conservatrice Winston Churchill. Alors que le Mouvement Européen britannique accompagne le Premier Ministre Edward Heath dans la candidature du Royaume-Uni à la CEE, Duncan Sandys devient le président d’Europe Nostra, la fédération européenne du Patrimoine culturel, de 1969 à 1984.

 

Robert Bichet (Français) : Natif de Franche-Comté, Robert Bichet devient lui aussi une figure active de la Résistance durant l’occupation. Il organise le renseignement et la circulation d’information en Bourgogne et en Franche-Comté. A la libération, Charles de Gaulle le nomme à la tête des services de l’Information, il sera ensuite sous-secrétaire d’Etat sous le court gouvernement George Bidault. Sa contribution la plus marquante pour la Presse restera la loi Bichet du 2 avril 1947 qui régit le processus de distribution de la presse écrite en France. Au delà de son investissement en tant que député-maire, de conseiller général puis régional, Robert Bichet s’impliquera rapidement dans la construction européenne. Il devient donc vice-président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe de Strasbourg de 1949 à 1959. Impliqué très tôt dans la conception du drapeau européen, c’est bien Robert Bichet qui annonce l’adoption des douze étoiles dorées sur fond bleu le 25 septembre 1953. Deux ans plus tard, le Conseil de l’Europe adoptait les douze étoiles comme drapeau définitif.

 

Joseph Retinger (Polonais) : Il est difficile de savoir où commencer avec Joseph Retinger tant son héritage est diverse. Convaincu du projet européen de la première heure, il milite dès l’entre-guerre pour une Europe fédérale. Depuis Paris, où s’établit le gouvernement polonais en exil, Retinger projette de construire une confédération centre-européenne avec au coeur la Tchécoslovaquie et la Pologne. A la fin du conflit, Joseph Retinger constate la création exponentielle d’organisations pro-européennes et frustré de leur manque d’organisation, il décide de les coordonner en organisant le Congrès de la Haye en mai 1948. Convaincu que l’entité européenne naissante accepterait un jour les pays de l’Europe centrale et orientale, il crée en août 1950 la commission spéciale chargée de veiller aux intérêts des nations non représentées. Dans une dynamique de rapprochement Atlantique, il organise en 1954 la première réunion de Bildeberg, qui deviendra par la suite un rassemblement annuel et informel d’Européens et d’Américains influents.

 

Raoul Dautry (Français) : L’homme en retrait n’est autre que Raoul Dautry, premier président du Mouvement Européen – France. Né en 1880, Raoul Dautry devient un homme clef de la Première Guerre Mondiale en mettant au point dès 1914 un système de circulation des trains permettant aux renforts de se rendre sur le front de l’Est, notamment pour la Bataille de la Somme. Sa « voie des cent jours » servira à ravitailler les troupes engagées dans les combats décisifs du conflit. En tant que président général, Dautry modèle ce qui deviendra la SNCF en 1938. Nommé Ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme par le Général de Gaulle en 1946, il s’attelle à la reconstruction du pays et pour Dautry, cela doit se faire au sein d’un projet européen. Il prendra donc la première présidence du ME – F de 1949 à 1952, tout en prenant la vice-présidence du conseil de direction du Centre européen de la culture en 1951.

 

Hendrik Brugmans (Néerlandais) :  Avant de s’impliquer dans le projet européen, Hendrik Brugmans était d’abord un universitaire qui s’est impliqué lui-aussi dans la Résistance durant l’occupation des Pays-Bas. Il enseigna la littérature française à l’Université d’Utrecht de 1948 à 1950 tout en contribuant activement à la création du Collège d’Europe. Hendrik Brugmans en deviendra même le premier recteur et occupera ce poste jusqu’en 1972. Son attachement à l’Europe dépassant l’intérêt académique, il devient le premier président de l’Union des Fédéralistes Européens et publie des traités sur le fédéralisme européen tout au long de sa vie.

 

Jean Monet disait lui-même : « Rien n’est possible sans les hommes, rien n’est durable sans les institutions » alors merci à ceux qui ont oeuvré pour le Mouvement Européen et que l’Histoire n’a pas retenu.