Les Européens #6 – William Penn

William Penn en 1666. Copie du XVIIIe siècle d'un portrait du XVIIe siècle, possiblement de Sir Peter Lily.

Pourquoi choisir comme sixième illustration de notre série sur « Les Européens » un utopiste quaker anglais, qui a donné son nom à l’Etat de Pennsylvanie (étymologiquement, « forêt de Penn ») aux Etats-Unis ?

1644-1718

William Penn naît au milieu du XVIIe siècle dans une famille anglaise aisée ; son père est un amiral de marine anobli, et sa mère vient d’une famille marchande de Rotterdam (Pays-Bas). Le jeune homme étudie à l’université d’Oxford, puis il est envoyé en France, réputée pour ses « bonnes manières ». Durant les premières années de sa vingtaine, il vit en Irlande, où il gère une des propriétés familiales. C’est en raison de ses affinités quaker (un mouvement religieux fondé par des dissidents de l’Eglise anglicane) – un courant mal vu dans son pays – qu’il s’exile en 1682 en Amérique. Il y fonde alors une cité, Philadelphie, et y applique les préceptes de gouvernement d’une cité libérale. L’utopie qu’il s’applique à réaliser au-delà de l’océan ne l’empêche pas de réfléchir sur l’Europe.

L’état de guerre

L’Europe du XVIIe siècle est plongée dans les guerres : guerre polono-russe (1605-1618), guerre de Trente ans (1618-1648), guerre anglo-espagnole (1654-1660), guerre dano-suédoise (1658-1660), guerres austro-turques (1663-1664) n’en sont que quelques illustrations… Les Etats, à la tête desquels trônent des dynasties centenaires sont liés par des traités diplomatiques secrets, et disposent d’armées permanentes, sans cesse prêtes à intervenir.

Système fédéral

William Penn grandit dans une Grande-Bretagne à la tête de laquelle luttent des forces royalistes sous le commandement du roi Charles Ier et des forces parlementaires, sous le commandement d’Olivier Cromwell. En 1660, une « monarchie parlementaire » est instaurée dans le pays. Les Provinces-Unies protestantes, alliées de la Grande-Bretagne dans ces guerres nationales, fait elle aussi figure de modèle pour le jeune William : les habitants y disposent de la liberté de culte, mais aussi de la liberté d’entreprendre.

Cedant arma togae

En 1693, onze ans après son arrivée en Amérique, William Penn écrit « An Essay towards the present and future Peace of Europe by the establishment of an European Dyet, Parliament or Estates » ou Essai sur la paix présente et future de l’Europe par la formation d’un Parlement des Etats européens. L’épitaphe en latin, Cedant arma togae, signifie « fais céder les armes devant la toge », c’est-à-dire qu’elle affirme la supériorité du juriste sur le militaire.

Parlement, de « parlare », parler

William Penn imagine une solution institutionnelle au problème de la guerre, par la réunion régulière (au moins une fois par an) d’une Diète ou Parlement composé de représentants d’Etats européens. Ils y disposeraient de liberté de parole et de l’obligation d’écouter les arguments mutuels ; ils dialogueraient en utilisant un seul langage, le latin ou le français. Emery de Crucé, dans le Nouveau Cynée adopte soixante-dix ans plus tôt la même approche.

Les Etats européens

La répartition des places à la Diète correspond au poids économique et politique de chaque Etat. Les places ne sont pas accordées aux représentants dynastiques de chaque Etat, mais aux représentants du peuple. Les membres ne doivent pas spécifiquement défendre l’intérêt national. William Penn imagine aussi la division de ce Parlement en petits groupes de dix membres, réunis selon des vues convergentes. Les 90 places sont réparties comme suit :

  • 12 pour l’Empire Allemand
  • 10 pour la France
  • 10 pour l’Espagne
  • 8 pour l’Italie
  • 6 pour l’Angleterre
  • 4 pour la Suède
  • 4 pour la Pologne
  • 4 pour les Sept provinces (Provinces-Unies ou Pays-Bas actuels)
  • 3 pour le Danemark
  • 3 pour Venise
  • 3 pour le Portugal
  • 2 pour les 13 cantons suisses et les petites souverainetés environnantes
  • 1 pour les duchés de Holstein et Courland

Si les Turques et les Russes entrent dans le Parlement (ce qui serait juste, selon le penseur), ils obtiendraient chacun 10 places.
En cas de non-coopération d’un Etat aux décisions prises par l’assemblée, les autres Etats réunis peuvent organiser une intervention armée contre lui.

Les héritiers

En 1710, le quaker John Bellers résume le projet de Penn dans son essai Some Reasons for a European State. Il envisage un Parlement composé de 100 membres.
Trois ans plus tard, en 1713, l’abbé de Saint-Pierre, cherche aussi à organiser la paix par le droit, au moyen d’une alliance fédérative générale, dans son Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe.
Zum Ewigen Frieden, ou Vers la paix perpétuelle : l’œuvre de Kant, en 1795, est le point d’orgue de toutes les pensées des Lumières encourageant une paix européenne encadrée par le droit et par un Parlement européen.
En 1814, Saint-Simon publie La Réorganisation de la communauté européenne et propose un Parlement européen élu avec un député pour chaque million d’habitants.
1941 : Le manifeste de Ventotene, d’Altiero Spinelli, Ernesto Rossi, avec la collaboration d’Eugenio Colorni voit renaître l’idée d’une Europe fédérale.

La mise en pratique

En 1952 est établie une « Assemblée commune » de 78 membres issus des parlements nationaux des six pays constituant la CECA. L’Assemblée est renommée « Assemblée parlementaire européenne » en 1957, et « Parlement européen » en 1962. Depuis 1979, les parlementaires sont élus par le peuple pour une durée de cinq ans. L’effectif du Parlement européen a augmenté à chaque élargissement ; depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009, le Parlement européen compte 751 députés, répartis en 7 groupes politiques, et 22 commissions.

Vous pouvez consulter ici le site officiel du Parlement européen.