Quel peintre anversois né en Allemagne pouvait en 1628 copier à la Cour d’Espagne – avant son départ en Angleterre – le tableau d’un maître italien, inspiré de la légende grecque d’Europê ?*
Pierre Paul Rubens (1577-1640)
En 1623, le prince de Galles, futur roi Charles Ier d’Angleterre exhibe fièrement l’autoportrait de Pierre Paul Rubens dans sa galerie. Le tableau lui a été offert par Henry Danvers qui a passé commande au peintre. Ce dernier s’y est dépeint comme un gentilhomme élégant vêtu de noir, portant au cou une chaîne d’or. Cadeau reçu par Albert et Isabelle-Claire-Eugénie des Flandres, par le roi Christian IV du Danemark ou par le duc de Mantoue ?
1600, Mantoue, Italie
Un jeune homme de vingt-trois ans, page chez une comtesse et doué pour la peinture se rend en Italie pour suivre la trace de son père, de son maître et pour parfaire sa formation artistique. Il devient peintre pour le compte de Vincent de Gonzague, duc de Mantoue et époux d’Eléonore de Médicis. Voici alors le portrait réalisé pour leur fille :
Dans le cadre de son séjour italien, Rubens assiste au mariage à Florence de Marie de Médicis – sœur d’Eléonore de Médicis – avec Henri IV. En 1603, il est envoyé par le duc de Mantoue en Espagne, pour remettre des présents diplomatiques au roi Philippe III d’Espagne.
La carrière artistique et diplomatique de Pierre Paul Rubens vient tout juste de commencer.
1608, Anvers, Flandres méridionales
Après huit années en Italie à Mantoue, Gênes et Rome, Rubens revient à Anvers, où réside sa mère. Les souverains des Flandres méridionales (actuelle Belgique), un territoire catholique qui dépend du royaume d’Espagne, nomment Rubens leur peintre attitré. L’archiduc Albert et l’archiduchesse Isabelle-Claire-Eugénie sont tous deux des Habsbourg. Le premier est issu de la branche autrichienne et son épouse est la fille du roi d’Espagne Philippe II.
Rubens réalise leurs portraits en 1615 :
1621, Paris, France
En 1621, Richelieu, alors intendant de la maison de Marie de Médicis sollicite Rubens. Il souhaite qu’il vienne travailler pour la reine-Mère. Marie de Médicis est liée aux plus puissants souverains de son temps mais elle a besoin de redorer son image : accusée dix ans plus tôt d’avoir fomenté l’assassinat de son mari Henri IV, entraînée dans un conflit armé avec son fils Louis XIII dont elle ne partage pas les vues… Rubens dépeint sa vie en 24 tableaux pour décorer une galerie de son palais du Luxembourg. On y voit la reine-Mère représentée de façon allégorique, procédé très fréquent au XVIIe siècle, notamment parce qu’il permet de valoriser les qualités et les valeurs morales du modèle. Ci-dessous, Marie de Médicis est dépeinte en Bellona, figure grecque et romaine, déesse de la guerre. On la voit aussi en patronne des arts et de la culture, entourée d’instruments de musique et de statues.
Marie de Médicis commande également au peintre une série d’effigies de son fils Louis XIII avec son épouse Anne d’Autriche, fille du roi d’Espagne Philippe III. Le couple est désuni alors que des tensions existent entre les deux plus grandes puissances catholiques, l’Espagne et la France.
1623, Provinces-Unies
Rubens est envoyé par Philippe IV d’Espagne aux Provinces-Unies (actuels Pays-Bas) pour entamer des négociations diplomatiques. Ces Provinces sont historiquement sous l’autorité du royaume catholique d’Espagne, mais par l’acte de la Haye en 1581, elles font sécession, les habitants souhaitant vivre librement leur foi protestante. Espagne catholique et Provinces-Unies ont suspendu la guerre pendant douze ans (1609-1621), mais les combats ont repris.
1624, Madrid, Espagne
Philippe IV d’Espagne anoblit Rubens pour son engagement diplomatique. Cinq ans plus tard, l’archiduchesse Isabelle-Claire-Eugénie d’Anvers lui commande les portraits de son neveu Philippe IV roi d’Espagne, marié à la fille de Marie de Médicis, Elisabeth de France alias Isabelle de Bourbon. La même année, Rubens est nommé « secrétaire du Conseil des Flandres » par Philippe IV, qui a donné au peintre la mission de rétablir les relations diplomatiques de l’Espagne avec l’Angleterre de Charles Ier.
1629, Cambridge, Angleterre
Rubens est reçu au grade de Magister artium à l’université de Cambridge, en qualité de diplomate. Plusieurs audiences lui sont accordées par le roi d’Angleterre Charles Ier. L’Angleterre et l’Espagne sont alors engagées depuis 1625 dans un conflit : l’Angleterre, plutôt protestante, soutient les Provinces-Unies contre l’Espagne catholique. En 1630, Philippe IV et Charles Ier signent une paix blanche par le traité de Madrid.
1630-1640, Angleterre, Espagne, Flandres
En 1630, Charles Ier fait Rubens chevalier. L’année suivante, Philippe IV l’anoblit à son tour. Rubens poursuit sans relâche ses efforts diplomatiques pour trouver un terrain d’entente entre l’Espagne et les Provinces-Unies. En 1633, le frère de Philippe IV d’Espagne prend la succession de la défunte Isabelle-Claire-Eugénie à la tête des Pays-Bas espagnols. Un noble lui offre alors l’Allégorie des cinq sens, réalisée par Rubens avec Brueghel l’Ancien entre 1617 et 1618. Quelques années plus tard, cette magistrale série se retrouve dans la salle de lecture du roi d’Espagne. Ces cinq peintures symbolisent le génie créateur de Rubens qui s’illustra bien sûr dans d’autres genres que les portraits, et qui sut partager son talent avec ses égaux – comme c’est le cas ici.
Voyage dans le temps
De la même manière qu’il avait imité ses aînés*, par la suite, une foule de peintres talentueux prendront modèle sur ses œuvres : le hollandais Van Dyck, l’espagnol Velasquez, le français Jean-Marc Nattier…