Pour vous familiariser avec la pensée d’Erasme, Européen s’il en fut, voici un recueil de citations à lire, méditer, relire et partager.
Ce premier Européen
« Ne vivant en sédentaire dans aucun pays, citoyen de tous, ce premier Européen, ce premier cosmopolite conscient ne reconnaissait aucune prépondérance d’une nation sur une autre ». (S. Zweig, Erasme, « Sa mission. Le sens de sa vie. »)
Erasme, enfant naturel, naît entre 1466 et 1469 à Rotterdam (Pays-Bas). Il reçoit une éducation religieuse, est ordonné prêtre en 1492 par l’évêque d’Utrecht. De là, se succèderont voyages à Paris (1495-1499), à Londres et Oxford (1499-1503 ; 1505-1506 ; 1509-1514), aux Pays-Bas (1504, 1514), à Turin, Venise, Padoue, Sienne, Florence et Rome (1506-1509), à Louvain (Belgique) de 1517 à 1521, puis à Bâle (Suisse)… Ses œuvres, elles aussi sont éditées et traduites dans toute l’Europe ! De Londres à Cracovie, d’Anvers à Alcala de Henares, de Paris à Strasbourg, de Nuremberg à Naples…
Une nouvelle culture européenne
« Le latin devenait une langue fraternelle, le premier espéranto de l’esprit. (…) Avec la république des lettrés d’Erasme naissait une nouvelle culture européenne, et cette fois ce n’était pas la vaine gloire d’une nation, mais le bien-être de l’humanité tout entière que visait fraternellement une soupe d’idéalistes. Cette aspiration des esprits à une union spirituelle, ce rapprochement des langues par le truchement d’une langue universelle, ce besoin d’une réconciliation définitive des nations entre elles, ce triomphe de la raison, c’est aussi le triomphe d’Erasme ! » (S. Zweig, Erasme, « Grandeur et limites de l’humanisme »)
Erasme écrit en latin. C’est la langue d’Eglise, mais aussi une langue de communication entre tous les intellectuels européens du temps, de Thomas More à Rabelais. C’est une langue que les Européens ont en partage.
La mission de l’Européen
« Au lieu d’écouter les vaines prétentions des roitelets, des sectateurs et des égoïsmes nationaux, la mission de l’Européen est au contraire de toujours insister sur ce qui lie et ce qui unit les peuples, d’affirmer la prépondérance de l’européen sur le national, de l’humanité sur la patrie… » (S. Zweig, Erasme, « Grandeur et limites de l’humanisme »)
Erasme est l’ennemi de la guerre et des fanatismes. Il souhaite dépasser les instincts égoïstes, vengeurs et violents des hommes et des nations par la conciliation et la compréhension mutuelle. Stefan Zweig écrit son Erasme en 1934, confronté à la montée de l’hitlérisme. Lui qui a grandi dans un milieu bourgeois autrichien cosmopolite voit avec terreur les passions nationales naître chez ses concitoyens européens. Il tente de faire revivre ce que fut la pensée humaniste…
La passion et la raison
« Il est admis que toutes les passions relèvent de la folie. On distingue le fou du sage à ce signe que l’un est guidé par la passion, l’autre par la raison ». (Eloge de la folie, §XXX)
Erasme vit dans un siècle de conflits entre les peuples et les hommes. Il a la conviction que ces querelles naissent du fanatisme, de l’esprit de ceux qui réclament une soumission absolue à leurs propres croyances. Selon lui, il est possible de mettre fin à ces querelles par des concessions mutuelles.
Il existe enfin un philanthrope…
« Erasme a conquis son époque. Il a donné la clef du problème à sa génération et la manière posée, intelligible pour tous, humaine, avec laquelle il expose les questions les plus angoissantes lui attire d’immenses sympathies. (…) Il existe enfin un homme qui, contrairement à tous ces moines exaltés, à ces fanatiques querelleurs, à ces blasphémateurs et à ces inintelligibles professeurs de scolastique, ne juge les choses de l’esprit et de la religion que du point de vue humain, un philanthrope qui croit en la société, malgré tous les abus qui y règnent, et qui veut l’éclairer. » (Stefan Zweig, Erasme, « Années de célébrité »)
Dans les vingt premières années du XVIe siècle, Erasme est au zénith de sa gloire. Les plus grands se disputent sa compagnie : Charles Quint lui offre une place dans son Conseil, Henri VIII voudrait l’attirer en Angleterre, Ferdinand d’Autriche à Vienne, François Ier à Paris, les universités souhaitent lui offrir une chaire, les papes lui écrivent. Mais Erasme souhaite rester libre.
Humanisme
« Ayant triomphé sans recours à la force, par la seule puissance d’attraction et de persuasion de son action spirituelle, l’humanisme abhorre la violence. (…) Tout homme qui aspire à la culture et à la civilisation peut devenir humaniste : tout individu, quelle que soit sa profession, homme ou femme, chevalier ou prêtre, roi ou marchand, laïc ou clerc, peut entrer dans cette communauté libre, on ne demande à personne quelle est sa race, sa classe, sa nation, sa langue. » (S. Zweig, Erasme, « Grandeur et limites de l’humanisme »)
L’humanisme repose sur la liberté de conscience de ses membres ; il ne s’impose à personne. Les humanistes professent avec douceur leur manière de penser, et ne forcent personne à adopter leur idéal. De la même manière, ils n’excluent personne. Tous peuvent adopter cette doctrine de concorde universelle.
Une pluralité de lectures
« Bien que nous accordions visiblement autant d’importance que Luther aux témoignages et aux solides arguments tirés de l’Ecriture Sainte, je voudrais cependant inviter le lecteur à passer en revue cette cohorte nombreuse des docteurs les plus éminents, qui ont reçu jusqu’à nos jours l’assentiment de tant de siècles ». (Erasme, Essai sur le libre-arbitre, trad. P. Mesnard, Paris, Vrin, 1970, p.208)
Au XVIe siècle, l’enseignement biblique est essentiellement connu par le biais des commentaires scholastiques. Erasme suggère – tout comme Luther – de revenir au texte-même de la Bible ; il propose d’ailleurs une traduction du Nouveau Testament en latin, en 1516. Erasme cependant considère qu’il est sain de permettre la lecture combinée des Ecritures saintes et de leurs commentaires, d’encourager une pluralité de lectures s’enrichissant les unes les autres (Luther s’y oppose fanatiquement).
Paix
« Ô vous qui fabriquez des morts,
Vous ne serez pas les plus forts…
Pour fabriquer des vivants, un Erasme n’a pas grand pouvoir. Certes pas. Mais pour dire NON à la fabrique des morts, reconnaissons qu’il n’a pas son pareil ! » (L. Febvre, « L’Erasme d’Huizinga », in J. Huizinga, Erasme.)
Erasme résiste sans violence à toutes les passions qui opposent les hommes les uns aux autres. Le néerlandais Johan Huizinga lui aussi prône la paix. Il écrit son Erasme en 1924, et meurt en 1945, pour avoir résisté à la barbarie du totalitarisme, dans les camps de concentration nazis. Son œuvre est publiée en 1955 en français avec une préface de Lucien Febvre.
La fin
« On se bat avec acharnement entre religions, entre Rome, Zurich et Wittenberg ; pareilles à des orages voyageurs les guerres s’abattent sur l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne ; le nom du Christ est devenu une bannière guerrière. (…) On commence à traquer les non conformistes et les libre penseurs, c’est la dictature de l’intolérance. (…) En vérité, il n’y a plus de place sur terre pour la liberté de l’esprit, pour la tolérance et l’harmonie, ces idées fondamentales de l’humanisme » (S. Zweig, Erasme, « La fin »)
Erasme a toute sa vie joué les médiateurs entre les passions opposées, entre les catholiques et les protestants. Il a tenté d’apaiser les tensions en trouvant des terrains d’entente. Les idées extrêmes prennent le dessus sur toute volonté d’entente, et la guerre éclate. Erasme meurt, malade et seul en 1536.
A lire
ERASME, Eloge de la folie, Paris, Robert Laffont, 1992.
ERASME, Essai sur le libre arbitre, trad. P. Mesnard, Paris, Vrin, 1970.
Johan HUIZINGA, Erasme, trad. V. Bruneel, Paris, Gallimard, 1955.
Carlo OSSOLA, Erasme et l’Europe, trad. N. Le Lirzin, Paris, Félin Poche, 2014.
Stefan ZWEIG, Erasme, Grandeur et décadence d’une idée, trad. A. Hella, Paris, Grasset, 2010.
Retrouvez ici la frise du Mouvement Européen – France, « L’Europe, un patrimoine culturel commun ».