Mais pourquoi diable… ?
Singulière idée, me direz-vous, de consacrer un article sur les Européens à ce roi sanguinaire. Il n’est pour nous qu’une porte d’entrée pour mieux comprendre ce que fut l’Europe pendant huit siècles au Moyen-Âge. Du VIIe au XVe siècles, où papes, empereurs et rois se disputent la suprématie du pouvoir, l’Europe est synonyme de chrétienté. Nombreux sont ceux qui cherchent alors à unir les territoires par l’expansion de la foi chrétienne.
Canute the Great / Knud den Store / Knut den mektige (995 – 1035)
Petit-fils du roi de Pologne Mieszko Ier par Swi̧etos|lawa sa mère et fils du roi de Danemark Sven Tveskæg, il est élu roi d’Angleterre à Southampton en 1015. En 1028, au moyen de conquêtes et corruptions, il est maître d’un Empire qui s’étend au Danemark et à la Norvège d’alors (aujourd’hui, il faudrait y ajouter l’Islande, le Groenland et une partie de la Suède). Certainement conseillé par Wulfstan, archevêque d’York, il soutient l’Eglise, et entame un pèlerinage à Rome ; en 1027, il s’y rend une seconde fois pour assister au couronnement de l’empereur germanique Conrad II. Il unifie ses territoires scandinaves notamment par le biais de la religion chrétienne. Les peuples normands et vikings, qui assiègent un siècle plus tôt la Francie orientale et la Francie occidentale se retrouvent liés à leurs anciens ennemis par une même foi.
Justement, un siècle plus tôt…
… un projet d’unité est aussi porté par Charles le Grand, ou Charlemagne (742-814), appelé par le poète Angilbert « chef vénérable de l’Europe », « maître du monde, bien aimé du peuple […] sommet de l’Europe ». Ce roi franc, couronné empereur par le pape en 800, est maître d’un Empire qui comprend le royaume Franc, l’Espagne non musulmane, la Belgique, le Luxembourg, et les Pays-Bas d’aujourd’hui, et s’étend jusqu’à la Bavière, la Saxe (aujourd’hui, à l’est de l’Allemagne), et la Lombardie (aujourd’hui, nord de l’Italie).
Empereur couronné par le Pape ?
« À Charles Auguste couronné par Dieu, grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire ! » : voilà à peu près les mots que Léon III prononce lorsqu’il couronne Charlemagne empereur. Rome : siège de l’Empire romain, devenu siège de la papauté… L’Empereur Charles le Grand incarne le royaume chrétien. Religion qui est d’ailleurs un profond vecteur d’unité. Aidé du clerc anglo-saxon Alcuin, qui devient plus tard abbé de Saint-Martin-de-Tours, Charlemagne met en place un programme scolaire, censé permettre le rayonnement d’une même foi et d’une même morale dans son royaume. Au IXe siècle, « Occidens », « Europa » et « Christianitas » sont presque synonymes.
Et après ?
Après Charlemagne, les papes et les empereurs se disputent le pouvoir sur l’« Europe ». Certains cependant gouvernent en bonne entente : on peut parler du couple formé par l’empereur Otton III (980-1002), élu roi des Germains en 983, empereur germanique en 996, et Sylvestre II (ancien précepteur d’Otton III, devenu pape en 999). Le « couple » ambitionne la création d’un Etat chrétien universel, et évangélise les populations païennes de l’est, les Polonais, les Magyars en Hongrie (en l’an 1000, le prince Etienne reçoit la couronne royale des mains du Pape) … Les Annales de Quedlinbourg rapportent, en se référant au couronnement d’Otton III : « Cette intronisation, accomplie par le Siège apostolique, a consacré comme empereur auguste notre seigneur Othon, jusqu’alors appelé roi, aux acclamations non seulement du peuple romain, mais aussi des peuples de toute l’Europe. » L’Europe est unifiée par la religion mais divisée entre guelfes, partisans du pouvoir papal, et gibelins, qui soutiennent l’Empereur. Le terme « Europe » disparaît d’ailleurs du langage. Il renaît au XIVe siècle.
De Europa, 1458
Trois siècles plus tard. Dans l’argumentation de son ouvrage politique De monarchia (1310-1313), Dante, défenseur de l’autorité impériale (« gibelin ») emploie une dizaine de fois le mot «Europae».
Quatre siècles plus tard. Enea Silvio Piccolomoni (« guelfe »), un an avant de devenir le pape Pie II écrit un ouvrage, De Europa (1458). Il voit la nécessité de réunir le continent, dans un contexte où la menace turque se fait pressante dans les Balkans, quelques années après la chute de l’Empire romain d’Orient à Constantinople.
Il divise le continent en soixante-cinq régions empruntées à la géographie de Strabon et brosse l’ « Europe » d’alors : Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Grèce, Albanie, Bosnie, Autriche, Pologne, des Etats de la Baltique, Allemagne, Danemark, Savoie, France, îles britanniques, péninsule ibérique, Italie (selon les dénominations d’aujourd’hui). Il met en évidence les éléments d’appartenance à une culture commune : héritage de la pensée grecque, religion chrétienne… et nomme les habitants de ces régions « europæos homines » (« les Européens »). C’est la première occurrence du terme dans l’Histoire.
Retrouvez ici l’affiche du Mouvement Européen – France, « L’Europe, un patrimoine culturel commun ».