Le personnage
Justinien naît en 482 à Tauresium, près de l’actuelle capitale de République de Macédoine du Nord, Skopje, de parents Illyriens (peuple des Balkans) parlant romain. Il reçoit (grâce à son oncle, un soldat haut gradé) une excellente éducation juridique, rhétorique et théologique. Il acquiert aussi une expérience des affaires sous le règne de l’empereur Justin qui le fait consul. A 45 ans, lorsqu’il accède au pouvoir, l’homme est travailleur, simple de mœurs, et voue un culte à l’idée impériale.
Le règne
En 527, Atanase Ier, son prédécesseur, lui laisse une situation économique saine. Mais la paix sociale est troublée par des antagonismes religieux, par les excès d’une administration détestée ; en outre, l’Empire est engagé dans une guerre contre l’Empire Perse.
Justinien Ier est empereur pendant trente-huit ans, de 527 à 565.
Il programme avec énergie une restauration et une unification du monde romain. Pour cela, il met fin à la guerre avec l’Empire Perse et reconquiert méticuleusement jusqu’en 540 l’Afrique des Vandales et le royaume ostrogoth d’Italie. Mais à partir de 540, l’Empire de Justinien doit faire face aux invasions des Perses, Goths, Berbères, Barbares, Huns, Slaves, Avars… C’est au prix d’une ruine financière que l’Italie et le sud de l’Espagne sont reconquises (553-554). La paix avec les Perses est signée en 562.
Il tente une unification religieuse : interdiction du paganisme, tentatives de ramener les monophysites (dont la doctrine affirme la consubstantialité du Père et du Fils, c’est-à-dire la nature divine de Jésus Christ) à l’Eglise officielle.
Il entreprend des réformes administratives pour renforcer l’autorité impériale, lutter contre la corruption des fonctionnaires, simplifier l’administration locale par la réunion des pouvoirs civil et militaire.
Le projet juridique : la refonte des sources du droit
En 527, la législation romaine se trouve consignée dans des recueils incomplets de textes officiels (Code théodosien de 438) ou dans des compilations privées. L’opération de codification du droit entreprise par l’Empereur consacre la toute-puissance de la loi écrite, et sacrifie la plasticité de la coutume. Les textes officiels ne pouvant être contestés, le justiciable y gagne en sécurité.
Le Corpus juris civilis ou le Code et Novelles, le Digestes, les Institutes
Justinien a réalisé une oeuvre de compilation, qui comprend trois volets :
- Législatif avec la réunification en 529 dans le Code d’une série de lois et constitutions du IIe au Ve siècles. Les Novelles contiennent de nouvelles lois ou constitutions, et sont rédigées à partir de 534 en deux langues, le grec et le latin.
- Doctrinal : l’Empereur fait rassembler par des professeurs et avocats des textes de l’époque classique (IIe siècle av. J.-C. – IIIe siècle après J.-C) qui reproduisent le droit en vigueur, dans un but pratique. Les règles juridiques traditionnelles sont modifiées (insertions, suppressions) pour s’adapter aux idées nouvelles. Le Digestes paraît en 533.
- Pédagogique : dans les Institutes, Justinien fait transcrire définitions, classifications, notions générales, et controverses anciennes dans le but de former l’esprit juridique.
La postérité en Europe orientale
En Orient, le Code et le Digestes restent d’usage courant. Les clercs de l’Eglise byzantine s’y intéressent en raison de l’importance de la législation ecclésiastique contenue dans le Code et dans les Novelles. Des nouveaux canons (citons l’adaptation de la compilation justinienne par Léon le Sage avec les Basiliques) assurent dans les pays balkaniques, en Russie (et jusqu’en Syrie ou en Ethiopie) la survie du droit romain jusqu’au XXe siècle.
La postérité en Europe occidentale
Les compilations de Justinien sont retrouvées dans l’Italie de la fin du XIe siècle, en même temps qu’apparaît l’école juridique de Bologne, qui est durant le Moyen-Âge le principal centre d’étude du droit romain. Elles gagnent la France du Sud vers la fin du XIIe siècle, puis Paris et toutes les universités qui prennent leur essor en Europe. Puis :
- Dès la fin du XVe siècle en Italie et au XVIe siècle en France, une vague de juristes adopte l’étude historique du droit romain (qui reste concurrencé par le droit coutumier).
- Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’école du droit naturel (Hollande, Allemagne, Angleterre, France) reprend l’expression du droit romain.
- Le Code Napoléon de 1804, qui essaime en Hollande, Belgique, Luxembourg, Italie, Roumanie, Espagne (et jusqu’en Amérique latine), s’inspire pour partie des doctrines romaines.
- L’école juridique des « pandectistes » en Allemagne enseigne le droit romain dans les universités à partir du XIXe siècle et un de ses représentants (Bernhardt Windscheid) joue un rôle essentiel dans l’élaboration du Code civil allemand de 1900.
- La Suisse, l’Autriche, la Hongrie conservent eux aussi une part de l’héritage romain.
En bref
Au-delà des divergences souvent très profondes des divers systèmes juridiques, l’œuvre de Justinien a fourni à de multiples droits nationaux un vocabulaire, des concepts, des catégories, des théories… En bref, une construction juridique commune.
Peut-on dire que le droit romain compilé par Justinien est à l’origine du droit européen ?
D’une part, le droit romain qui a essaimé à partir du travail de Justinien n’est pas en vigueur dans tous les pays d’Europe ; en Angleterre, une autre « famille » de droits est en vigueur, la common law, plus proche de la coutume.
Quant au droit européen supranational, mis en place depuis le traité de Rome de 1957, et qui régit des sujets aussi divers que les droits fondamentaux, la libre circulation des personnes, marchandises, services, capitaux, la suppression de toute discrimination fondée sur la nationalité, le développement d’un espace de liberté, sécurité et justice, l’instauration d’un marché intérieur, d’une monnaie unique d’une politique agricole, d’une protection de l’environnement etc., il prend forme à travers des règlements publiés dans le Journal officiel de la Communauté européenne et de directives. Il ne découle pas du droit romain, mais sa mise en place a été simplifiée par la relative homogénéité de traditions juridiques entre la plupart des pays de l’Union européenne.
Retrouvez ici l’affiche du Mouvement Européen – France, « L’Europe : un patrimoine culturel commun ».