Le financement national du Plan de relance européen : quels bénéfices ?

Yves Bertoncini, Consultant en Affaires européennes, Président du Mouvement européen-France.

Cette tribune a été publiée le 25 août 2021 au sein du journal Le Monde.

Les premiers versements du Plan de relance européen « Next Generation EU » aux Etats-membres avivent le débat sur les coûts et bénéfices de cette initiative pour la France, au risque de le résumer à un face-à-face stérile entre comptables souverainistes et prophètes macronistes. C’est en distinguant les dimensions économique, financière et fiscale d’un tel débat qu’on peut le mieux en clarifier la portée et les enjeux politiques.

  1. Le Plan de relance européen aide la France compte tenu de son interdépendance économique avec ses voisins

Le Plan de relance « Next Generation EU » a pu être adopté en juillet 2021, fut-ce dans la douleur, car les 27 Etats-membres de l’UE ont tous considéré qu’il était dans leur intérêt que des aides financées par un emprunt commun puissent être versées afin d’endiguer la crise liée au coronavirus. Il s’est agi alors d’envoyer un signal macro-économique aux Etats, via une contribution exceptionnelle équivalant à environ 1% du PIB de l’UE sur 3 ans, et qui complète les interventions de la BCE et d’autres subsides communautaires et nationaux. Tout comme il s’est agi d’adresser un signal de solidarité politique aux citoyens et aux investisseurs, faisant écho à la volonté des Européens de préserver la cohésion de l’UE, le « marché intérieur » en prenant à nouveau acte de leur interdépendance économique.

Cette interdépendance explique pourquoi les bénéfices du Plan de relance européen doivent être évalués sur une base transnationale, et pas seulement au regard de l’aide obtenue par tel ou tel pays (40 milliards d’euros pour la France). Si des partenaires aussi importants que l’Italie et l’Espagne n’avaient pas eu l’assurance de recevoir une aide massive de l’UE, leur déconfiture économique et financière aurait en effet eu des conséquences très négatives en France, au-delà des considérations purement comptables et boutiquières. 

Il est loisible de souligner que la France aurait pu s’endetter seule, sans doute à un coût un peu inférieur – même si cela aurait pesé sur son endettement public, qui se rapproche désormais des 120% du PIB… Mais l’on ne saurait oublier que notre voisin italien, encore plus lourdement endetté, aurait eu bien d’avantage de difficultés à se financer sur les marchés – d’où l’apport précieux de « Next Generation EU » au-delà des Alpes et, par ricochet, de ce côté-ci aussi.

  1. A long terme, la France devrait être contributrice nette du financement du Plan de relance européen

La solidarité financière incarnée par « Next Generation EU » a également une dimension temporelle : si l’ensemble des subventions et prêts prévus (qui pourront aller jusqu’à 750 milliards d’euros) ont vocation à être décaissés pour accompagner la sortie de crise, entre 2021 et 2023, leur remboursement sera lui étalé sur une trentaine d’années, jusqu’à… 2058. Ce décalage temporel est lui aussi constitutif d’un apport financier immédiat et bienvenu, en une période particulièrement critique : la France recevra ainsi 40 milliards en 3 ans, alors qu’elle n’aura à contribuer qu’à moyen et long terme au remboursement de l’emprunt ayant permis le lancement du Plan de relance de l’UE.

Dès lors que – bonne nouvelle – la France fait partie des pays les plus riches de l’UE, il est logique qu’elle soit appelée à prendre toute sa part au remboursement de l’emprunt européen, au même titre que l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche, la Suède, etc. – qui ont d’ailleurs bien davantage rechigner avant d’accepter le lancement de cette initiative… Emmanuel Macron a cru bon d’escamoter cette réalité factuelle lorsqu’il a déclaré le 21 juillet 2020 sur TF1 que ce Plan ne coûterait rien à notre pays… Car de la même façon qu’elle est l’un des pays « contributeurs nets » au budget de l’UE (elle le finance plus qu’elle n’en reçoit), la France a, à ce stade, vocation à rembourser environ 68 des 390 milliards de subventions prévues par « Next Generation EU » (soit près de 17,5% du total, c’est-à-dire l’équivalent de son poids dans le PIB de l’UE). La France serait donc contributrice nette du Plan de relance à hauteur d’environ 28 milliards d’euros à l’horizon 2058 (ce sera plus du double pour l’Allemagne…), soit un investissement très rentable compte tenu de l’apport providentiel de « Next Generation EU » entre 2021 et 2023, chez nous comme chez nos voisins.

  1. La création de nouvelles taxes européennes est souhaitable pour des raisons économiques davantage qu’en raison de leur apport financier

La possible création de nouvelles ressources pour le financement du budget de l’UE, et donc de son Plan de relance, explique sans doute pourquoi Emmanuel Macron et ses soutiens croient bon de nier le coût du Plan de relance pour la France – à moins qu’ils ne misent sur le remboursement de l’emprunt européen par un autre emprunt, pratique courante chez nous mais guère aisée à faire admettre à nos partenaires communautaires… 

De fait, l’accord européen de juillet 2020 invite la Commission à proposer rapidement la mise en place d’une taxe sur le numérique, d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ainsi qu’une révision du système d’échanges de quotas d’émissions puis, avant 2024, l’avènement d’une taxe sur les transactions financières et de contributions sur les entreprises et leurs bénéfices… 

La création de chacune de ces nouvelles taxes serait utile et souhaitable, en raison de leur finalité économique ou écologique. Peut-être les Etats-membres seront-ils d’ailleurs incités à franchir le pas afin de ne pas avoir à rembourser toute leur part du Plan de relance. La grande difficulté de parvenir à un accord sur chacune de ces nouvelles ressources ne doit cependant pas conduire à lâcher la proie pour l’ombre : si de telles nouvelles ressources n’étaient pas créées ou si leur montant demeurait modeste, comme c’est hélas probable, les pays les plus riches de l’UE seront amenés à financer les pays les plus pauvres ou les plus en difficulté via le Plan de relance « Next Generation EU », qui n’y perdrait rien de sa dimension solidaire ni de son caractère historique.

 

Le Plan de relance de l’UE pourra d’autant plus rester dans l’histoire qu’il aura été mis en œuvre de manière énergique et méthodique au cours des prochains mois, en favorisant notamment la double transition écologique et digitale dont notre continent a besoin. C’est désormais largement aux Etats-membres de jouer cette partie-là, dont l’issue et les bénéfices relativiseront largement ses coûts aux yeux des prochaines générations.

 

La tribune est à retrouver sur le site du journal le Monde ou en version pdf  ici.