Suite à la révocation de Sylvie Goulard par les députés européens, Yves Bertoncini, Président du Mouvement Européen-France et Olivier Mousson, Secrétaire Général, ont écrit une tribune pédagogique sur ce processus décisionnel.
Le Parlement européen a choisi de ne pas accepter la désignation de Sylvie Goulard au poste de Commissaire européen, provoquant ainsi un vif débat dans notre pays et même une forme d’« incompréhension ». Au-delà des raisons circonstancielles ayant conduit à cette non désignation, il importe d’en tirer toutes les leçons afin de favoriser une articulation plus harmonieuse entre pratiques politiques nationales et européennes : il s’agit en l’espèce de mieux comprendre et accepter les différences entre la France et l’Europe en matière de culture parlementaire, de culture de coalition et de normes éthiques.
1 – Les parlementaires européens exercent d’importantes prérogatives décisionnelles
Le surcroît de participation enregistré aux élections européennes dans notre pays et dans l’UE traduit sans doute une prise de conscience accrue de l’importance des prérogatives décisionnelles exercées par le Parlement de Strasbourg, aussi bien en matière législative qu’en matière de contrôle. La révocation de la candidature de Sylvie Goulard ne pourra que le leur confirmer, ainsi qu’à l’ensemble de nos responsables politiques.
Cette décision résulte en effet d’un contrôle parlementaire très sophistiqué, qu’il pourrait être bienvenu d’appliquer au niveau national pour évaluer la compétence et le profil des Ministres pressentis. Ce contrôle est basé sur une série de questions écrites et sur une audition – l’exercice pouvant être renouvelé si le/la candidat(e) n’a pas d’emblée donné satisfaction. Le candidat pressenti doit convaincre 2/3 des parlementaires européens qui l’ont auditionné, puis seulement la moitié d’entre eux lorsqu’une 2ème chance lui est offerte. C’est à l’issue de ce processus qu’un Commissaire désigné peut être récusé ou voir le format et le contenu de son portefeuille redessiné.
Ce n’est pas la 1ère fois que le Parlement européen obtient de tels réaménagements de la composition de la Commission, même si c’est la 1ère fois que cela arrive à un Commissaire désigné par la France. Dès lors que notre pays ne saurait être traité différemment des autres, il nous revient de faire tous les efforts de compréhension et d’adaptation nécessaires pour mieux appréhender l’importance du Parlement européen – qui tranche avec celle qui est parfois accordée à notre Parlement national dans une Vème République dominée par la primauté présidentielle.
2 – Les décisions européennes résultent de compromis entre forces politiques multiples
Comme chaque décision de l’UE, l’approbation des candidats désignés pour présider ou faire partie de la Commission européenne résulte de compromis patiemment négociés entre une multitude d’acteurs, dont aucun ne peut prétendre imposer son leadership. Ces compromis sont adoptés à l’issue de rapports de force diplomatiques (Ouest-Est-Nord-Sud etc.), partisans (centre, gauche, droite, verts etc.) et interinstitutionnels (notamment marqués par la nécessité d’un accord entre le Conseil et le Parlement européen).
Le système institutionnel français est fondé sur une culture et une pratique beaucoup plus « majoritaire » et sur une discipline de vote mécaniquement acquise à ceux qui nous gouvernent. Il n’est pas certain qu’il prépare au mieux nos responsables politiques à la complexité et à la subtilité des équilibres qu’il s’agit d’atteindre à Bruxelles et à Strasbourg, à la différence de la plupart de leurs homologues, qui gouvernent le plus souvent avec le soutien de coalitions plus ou moins larges.
Il serait d’autant plus utile que la France se mette à l’heure de l’UE sur ce registre que la composition partisane du Parlement européen est désormais particulièrement pluraliste, et donc les majorités qu’il faut y trouver plus incertaines et instables que jamais.
3 – L’UE est porteuse de normes éthiques qui doivent s’appliquer uniformément
Le vote négatif à l’encontre de Sylvie Goulard procède de plusieurs motivations complémentaires, à la fois partisanes, institutionnelles, diplomatiques, personnelles, etc. Dès lors que l’expertise indéniable et la riche expérience de l’intéressée n’auraient pu le justifier, c’est essentiellement pour des raisons éthiques que sa candidature a été récusée.
Quand bien même rien d’illégal ne lui était formellement reproché, il est de facto apparu incompréhensible pour nombre de parlementaires européens que quelqu’un qui ne pouvait pas être Ministre à Paris puisse être Commissaire à Bruxelles. Ce « double standard » a d’autant plus interloqué que deux autres candidats d’Europe centrale venaient d’être récusés pour cause de conflits d’intérêt présumés.
Dans ce contexte, nul doute que les prochains candidats désignés par la France pour faire partie de la Commission européenne seront choisis sur la base de leurs grandes qualités mais aussi parce qu’ils seront inattaquables sur le registre éthique.
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La non désignation de Sylvie Goulard ne fera naturellement pas obstacle à l’entrée en fonction du nouveau membre de la Commission proposé par les autorités françaises, qui auront su tirer les enseignements de ce regrettable épisode. Il serait tout aussi salutaire que tous puissent méditer la triple leçon de choses qui s’en dégage, afin de renforcer la capacité d’influence de notre pays au niveau communautaire tout en améliorant la lisibilité du fonctionnement de l’UE aux yeux de nos concitoyens.
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