Interview – La Suisse et l’Union européenne

A l’occasion de la fête nationale suisse, le Mouvement Européen – France a interrogé le Nouveau mouvement européen Suisse (Nomes) sur l’histoire de la Suisse et les relations de cette dernière avec l’Europe et l’Union européenne en particulier. Raphaël Bez, secrétaire général du Nomes, s’est volontiers prêté au jeu !

ME-F : Aujourd’hui, c’est la fête nationale suisse : bonne fête ! Quelle est l’histoire de cette célébration du 1er août ?

Nomes : Nous fêtons notre pays à cette date depuis la fin du XIXe siècle. Nous nous remémorons à cette occasion de façon symbolique le Pacte fédéral de 1291, signé au mois d’août de cette année par trois cantons : Schwytz, Uri et Unterwald, les trois « cantons fondateurs » de la Suisse. Aujourd’hui, la Confédération compte vingt-six cantons dont six demi-cantons. Notons que si nous voulions célébrer la Suisse « moderne », il nous faudrait fêter la date du 12 septembre. En effet, à cette date-là, en 1848, la première Constitution fédérale a été approuvée. Avec elle, l’Assemblée fédérale (parlement bicaméral) et le Conseil fédéral (gouvernement) – tels que nous les connaissons aujourd’hui –, ainsi que, par exemple, la libre circulation des personnes et des marchandises entre cantons sont introduits.

J’ai entendu dire que le nom de votre pays, la « Suisse », vient de l’appellation d’un des trois premiers cantons, « Schwytz ». Est-ce exact ?

En effet ! Notre pays porte ce nom depuis le XIVe siècle. Mais il n’est pas le pays des seuls Schwytzois∙es. En effet, la Suisse est une terre de diversités : géographiques (paysages de montagne et de plaine, lacs, climats tempéré et méditerranéen) ; linguistiques, avec les quatre langues officielles que sont l’allemand, le français, l’italien et le romanche ; religieuses, entre protestants et catholiques historiquement ; enfin, politiques puisque nos vingt-six cantons et demi-cantons sont dotés d’une forte autonomie dans des domaines tels que la santé, la fiscalité, l’urbanisme ou la scolarité en raison de la structure fédérale de notre Etat.

Le système fédéral semble justement jouer un rôle de tout premier plan en Suisse !

Tout à fait. Mais l’Etat suisse n’a pas toujours revêtu cette forme. Au début du XIXe siècle, sous l’influence française, la Suisse est devenue un Etat unitaire. Cette « République helvétique » ne durera toutefois pas longtemps : dès 1848, un Etat fédéral est établi. Le terme de « Confédération suisse » est donc trompeur.

Est-ce de cette époque que date la fameuse neutralité suisse ?

La politique de neutralité de la Suisse date formellement du Congrès de Vienne de 1815. A cette occasion, elle a été reconnue par les puissances européennes de l’époque. Elle contribuera, par la suite, à faire de la Suisse un lieu privilégié pour les rencontres multilatérales, les processus de paix et l’établissement d’organisations internationales comme les Nations Unies.

En 1815, la Suisse fait donc partie du concert européen…

La Suisse a toujours été influencée par ses voisins. Il ne fait pas de doute : elle se situe au cœur de l’Europe, géographiquement, historiquement et culturellement. Cependant, longtemps tiraillée au niveau interne – en raison de différents conflits entre cantons – puis en raison de sa politique de neutralité, elle n’a cherché à s’intégrer dans le « concert européen » que de façon prudente et mesurée, sans grand enthousiasme.

Justement, la Suisse n’appartient pas à l’Union européenne.

Exactement, suite aux deux guerres mondiales, la Confédération suisse a mené une politique extérieure qui se voulait engagée en matière économique mais « neutre » au niveau politique. Le projet de Communauté européenne ayant été considéré, en Suisse, comme « politique », le choix a été fait de ne pas y participer. Ainsi, pour contre-balancer cela, dès 1960, la Suisse a contribué à créer l’Association européenne de libre-échange aux côtés d’Etats alors non-membres de l’UE. Aujourd’hui, la Suisse est toujours active au sein de l’AELE ensemble avec la Norvège, le Liechtenstein et l’Islande.

En 2017, 12,5% de la population résidant en Suisse vient de l’Union européenne ; 380 000 Suisses vivent dans l’UE. Comment l’expliquer ?

Ces intenses échanges humains entre l’UE et la Suisse datent déjà de la seconde révolution industrielle : l’horlogerie, la production de denrées alimentaires, la fabrication de machines avaient notamment recours à une main d’œuvre « étrangère ». C’est encore le cas aujourd’hui. En 1999, un accord sur la libre circulation des personnes a été conclu entre la Suisse et l’UE, facilitant ces échanges. Depuis, il a été élargi à tous les Etats membres de l’UE. Toutefois, le 9 février 2014, une initiative populaire – qui réclamait une limitation de l’immigration – a été acceptée et a conduit l’Assemblée fédérale à adopter une loi de mise en œuvre encourageant le recours à la main d’œuvre indigène. Les Suissesses et les Suisses devront probablement se prononcer à nouveau sur ce sujet l’an prochain lorsque l’initiative dite « de limitation » – qui vise à résilier l’accord de 1999 – sera soumise au vote.

Cette interdépendance est-elle aussi économique ?

Absolument. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en matière d’exportations, un franc sur deux est réalisé avec le marché européen. Les échanges avec les régions voisines que sont le Baden-Wurtemberg ou la Lombardie dépassent allègrement ceux effectués avec la Chine, les Etats-Unis ou encore l’Inde.

Dans quel cadre s’effectuent aujourd’hui les échanges avec l’Union européenne ?

Depuis le refus par votation populaire le 6 décembre 1992 de l’adhésion à l’Espace économique européen (fondé sur la circulation des personnes, marchandises, capitaux et services), la Suisse a structuré ses relations avec l’UE autour d’accords bilatéraux. Il en existe aujourd’hui environ 120. Les plus importants sont ceux négociés dans les paquets I et II de 1999 et 2004 qui couvrent notamment les domaines suivants : l’agriculture, la libre circulation des personnes, la recherche, les transports aériens et terrestres, la participation aux accords de Schengen et Dublin.

Existe-t-il un cadre institutionnel régissant les échanges entre la Suisse et l’UE ?

Cela fait dix ans que cette question est sur la table. Durant cinq ans, un accord institutionnel visant à réglementer l’accord de la Suisse au marché unique européen a été négocié. Il doit dorénavant être signé. Le Conseil fédéral ne l’a toutefois pas (encore) fait et souhaiterait de la part de la Commission européenne – en charge des négociations – un certain nombre de clarifications. Sachant qu’un tel accord devra probablement être soumis en votation populaire, il est essentiel de garantir un large soutien à son égard au niveau national. Aujourd’hui, nous n’y sommes pas encore. Le débat autour de cet accord risque bien de continuer à alimenter les discussions, en Suisse, durant les semaines et mois à venir.

Comment envisager le futur des relations entre la Suisse et l’UE ?

Aujourd’hui, la Suisse se trouve à un tournant dans ses relations avec l’UE. La voie bilatérale développée depuis la fin des années quatre-vingt-dix touche à sa fin. Sans un accord institutionnel, elle ne pourra être renouvelée. Par ailleurs, ce modèle de relation « sur mesure » ne semble plus convenir à l’UE qui – notamment suite au Brexit – semble vouloir ordonner ses relations avec les Etats tiers. La question d’une adhésion à l’UE, si ce n’est pas celle d’une participation à l’EEE, pourrait dès lors se poser (à nouveau). La Suisse ne peut pas échapper à l’UE. Elle se devra donc de repenser la place qu’elle souhaite y occuper : celle d’une spectatrice ou d’une actrice ? Pour le Nomes, le choix est fait : nous souhaitons adhérer car nous voulons pouvoir participer, co-décider et prendre notre destin européen entre nos mains.