Yves Bertoncini, Président du Mouvement Européen – France, analyse les enjeux de la « réunification européenne » avec les Balkans. Retrouvez cette tribune publiée le 17 mai dans le Huffington Post et en format PDF.
Le sommet « UE-Balkans occidentaux » organisé le 17 mai à l’initiative de la Bulgarie constitue un test géopolitique pour les Européens comme pour la France, à l’heure où le contexte international est de plus en plus instable et incertain.
Ce sommet va naturellement réaffirmer l’importance que l’Union européenne attache aux relations établies avec les six pays balkaniques également conviés à Sofia (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Serbie, Monténégro, Kosovo et « ancienne République yougoslave de Macédoine »). Selon les termes de la Présidence du Conseil européen, il devrait aussi rappeler « l’appartenance de la région à la famille européenne ». C’est sur la portée de cette métaphore familiale que les avis risquent de diverger, tout comme sur le lancement ou l’issue des négociations d’adhésion avec ces pays, dont la « perspective européenne » a été reconnue dès le sommet de Thessalonique en juin 2003.
Un bref survol géopolitique suffit à convaincre que les pays des Balkans occidentaux font naturellement partie de la famille européenne : c’est vrai du point de vue de notre histoire commune, que symbolise l’attentat de Sarajevo, élément déclencheur d’une guerre européenne devenue mondiale entre 1914 et 1918 ; c’est aussi vrai au regard de la géographie, l’Albanie et les 5 pays issus de « l’ex Yougoslavie » présents à Sofia étant entourés d’Etats-membres de l’UE (Italie, Croatie, Hongrie, Bulgarie, Roumanie et Grèce) – de sorte qu’il s’agira moins d’un « élargissement » de l’UE que d’une « consolidation » de son flanc sud.
Dans ce contexte, les autorités bulgares et européennes ont raison de souhaiter renforcer les liens entre l’UE et les Balkans occidentaux sur le plan de la « connectivité numérique », via le renforcement des infrastructures de transport et d’énergie ou l’intensification des échanges éducatifs et culturels. Mais il est plus essentiel encore qu’elles soulignent l’intérêt géopolitique d’une coopération UE-Balkans, qui doit notamment nous permettre de relever des défis communs en matière de sécurité, de migrations et de bon voisinage.
Cette coopération stratégique face aux défis de sécurité collective et de stabilisation de notre voisinage immédiat doit apparaître prioritaire pour les pays de l’UE, confrontés à de multiples menaces, mais aussi à la concurrence d’acteurs extérieurs susceptibles d’instrumentaliser les pays des Balkans à leur détriment, tels la Russie et la Turquie.
Comme l’a opportunément rappelé le sommet UE-Turquie organisé à Varna en mars 2018, la « route des Balkans » n’est pas seulement la voie empruntée par des centaines de milliers de demandeurs d’asile et migrants en 2015-2016, ainsi que par quelques terroristes infiltrés. C’est aussi celle qui conduit à Recep Tayyip Erdogan, dont la dérive autocratique et les initiatives diplomatiques doivent être contrecarrées, y compris lorsqu’elles font obstacle au règlement du conflit syrien.
Il n’est pas aisé pour nous de défendre nos intérêts communs dans notre voisinage immédiat face à des puissances régionales qui ne rechignent pas à recourir à la force. Nos outils diplomatiques et commerciaux ont une efficacité limitée dans la zone irako-syrienne, en Crimée, en Libye ou au Sahel, mais nous avons la chance de disposer pour les Balkans de la politique d’élargissement, qui s’avèrent l’une des rares composantes opérationnelles de l’introuvable « politique étrangère et de sécurité » de l’UE.
Conforter les pays des Balkans dans leur marche vers l’adhésion à l’UE
S’ils déplorent souvent l’évanescence de cette politique étrangère européenne, bien peu de responsables français semblent prêts à assumer et à revendiquer l’efficacité de la politique européenne d’élargissement en termes de stabilité de notre voisinage. Et bien peu sont susceptibles d’invoquer son utilité vis-à-vis des Balkans occidentaux, alors même que les incertitudes géopolitiques actuelles, avivées par notre allié traditionnel américain, devraient les y inciter.
Il est bien sûr salutaire de rappeler que les pays des Balkans doivent poursuivre inlassablement les efforts engagés en termes de démocratie, d’Etat de droit, de lutte anti-corruption, de combat contre la criminalité organisée et de protection des minorités : il y a là plusieurs conditions sine qua non à remplir pour adhérer à l’UE, conditions que la Turquie d’Erdogan ne remplit pas. Ce rappel salutaire ne saurait cependant nourrir, et même masquer, une réticence politique vis-à-vis de toute nouvelle adhésion à l’UE, au motif que celle des pays d’Europe centrale et orientale aurait eu des effets globalement négatifs et qu’il s’agit désormais de privilégier l’approfondissement de l’intégration européenne…
Cette réticence pour l’élargissement s’exprime assez faiblement dans nombre de pays européens, mais elle est devenue dominante et quasi névrotique en France – au point d’entrer en contradiction avec nos intérêts stratégiques. Les Français et leurs responsables politiques ne sont guère à l’aise face au grand marché européen et au sein d’une Union à 28 qui n’est pas « une France en plus grand », c’est un constat d’évidence. Mais il nous appartient de convaincre les autres Etats membres d’aller plus loin dans l’approfondissement de l’UE au cours des toutes prochaines années. Cela ne doit pas nous conduire à faire obstacle à l’adhésion des 6 pays des Balkans occidentaux à l’horizon 2025-2030. Cette « réunification européenne » nous conduira à accueillir 18 millions d’habitant au total, soit une proportion à peine supérieure à la population des Pays-Bas et plus de trois fois inférieure à la population britannique appelée à quitter l’UE dans moins d’un an…
A court terme, c’est parce que les pays des Balkans occidentaux recevront des signaux clairs confortant leur marche vers l’adhésion à l’UE que nous pourrons développer une coopération mutuellement bénéfique avec eux, tout en nous donnant les moyens d’être entendus et suivis. Cet autre constat d’évidence gagnerait à être médité et partagé plus largement dans notre pays – afin d’ajouter quelques grammes de finesse géopolitique dans un monde de brutes.