Fin de l’accord UE-Turquie : Entre chantage migratoire et crise humanitaire

Alors qu’Ankara a ouvert sa frontière avec la Grèce en violation de l’accord UE-Turquie signé en Mars 2016, Yves Bertoncini, Président du ME-F, a eu l’occasion de réagir dans les médias sur le chantage migratoire qui s’annonce.

Pour rappel, le 4 Mars dernier, l’Union européenne, par la voix de ses 27 ministres de l’Intérieur, a fermement rejeté « l’usage par la Turquie de la pression migratoire à des fins politiques » en réponse à la demande de la Présidence turque d’un soutien européen en Syrie.

LCI – Tout un monde, 7 Mars 2020

Invité sur LCI, pour l’émission Tout un monde, notre président Yves Bertoncini a partagé son expertise sur les enjeux de ce revirement turc.

A la question de savoir si l’Union Européenne a bien respecté son accord avec la Turquie, ce qu’a démenti le Président Recep Tayyip Erdogan, Yves Bertoncini assure que « les 6 milliards d’euros ont quasiment été tous versés », mais qu’en effet « sur certains éléments, l’Europe n’a pas rempli ses engagements » pour la simple et bonne raison que « la Turquie n’a pas rempli les conditions qui étaient nécessaires ». Toutefois, il rappelle que cet accord, bien qu’éthiquement critiquable, a relativement bien fonctionné en terme de gestion des flux migratoires en abaissant considérablement les arrivées de migrants au sein de l’Union européenne.

S’agissant des conséquences du retrait turc, Yves Bertoncini tempère les voix alarmistes qui crient à une seconde crise migratoire sur le modèle de 2015. Selon lui, bien que cette situation représente un « grand défi » pour l’Union, « les Européens sont aujourd’hui beaucoup plus armés » comme en témoigne le « déploiement d’officiers européens en Grèce ».  Par ailleurs, le déplacement de la Présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen sur les lieux, soit à la frontière turque le 5 Mars dernier, témoigne selon lui « qu’au niveau européen, nous ne sommes plus pris au dépourvu ».

Concernant les causes profondes de cette crise, pour Yves Bertoncini « le déficit européen, depuis le début, c’est d’agir à la source, c’est-à-dire à la crise syrienne », avant d’ajouter que « malheureusement, les Européens sont désunis et peinent à juguler les flux. » De fait, si aujourd’hui on constate que l’Union est parvenue à réduire le déficit de contrôle à l’extérieur de ses frontières, nous serions néanmoins toujours face à plusieurs défis : un déficit de « confiance », de « solidarité », « d’humanité » et « d’équilibre ». A cet égard, le Président du ME-F rappelle la responsabilité de la France, qui a « été totalement défaillante dans la gestion de la crise migratoire ».

France culture – Le temps du débat 9 Mars 2020

Le 9 Mars dernier, Yves Bertoncini était l’invité de l’émission Le Temps du Débat, animée par Emmanuel Laurentin, afin de revenir sur les conséquences de l’afflux massif de réfugiés aux portes de la Grèce.

S’agissant de l’accord UE-Turquie, Yves Bertoncini reconnait que « si on se situe sur un plan moral, nul doute que ce qui se passe n’est pas glorieux pour les européens, de même qu’il n’est pas glorieux qu’on atteigne ces jours-ci les 20 000 morts dans la Mer Méditerranée depuis 2014. Ce n’est pas glorieux parce que les Européens ont une tradition d’accueil, et c’est d’ailleurs un peu dans leur intérêt d’accueillir des demandeurs d’asile compte tenu du déclin démographique. Mais ceci étant, sur le plan politique, il faut bien constater qu’il y a eu des divisions profondes en Europe. Si Angela Merkel et d’autres pays se sont montrés ouverts, d’autres pays ont été extrêmement fermés parce qu’ils ont considéré les demandeurs d’asile non pas comme des victimes mais comme des menaces dont il faudrait se prémunir ».

Pour le Président du ME-F, il apparait primordial de répondre à cette crise de façon équilibrée afin de ne pas tomber dans le « culte du « no border » ». « Il y a des frontières en Europe et c’est d’ailleurs bien parce qu’il y en a et qu’elles sont contrôlées correctement qu’on peut distinguer les demandeurs d’asile et les migrants économiques. » Quand on l’interroge sur son analyse de la gestion européenne des frontières, il considère que le principal problème tient à l’absence « de consensus européen sur la répartition solidaire des réfugiés entre les Etats membres. ». Pour lui, aujourd’hui, « il n’y a pas d’équilibre qui a été trouvé au niveau européen entre le contrôle européen aux frontières, la solidarité financière et la solidarité humanitaire ». Dans cette même lignée, et au regard de la situation actuelle à la frontière greco-turque, il estime « qu’il ne faut pas laisser tous ces demandeurs d’asile en Grèce, car c’est l’Europe qu’ils veulent rejoindre, pas la Grèce. C’est en ce sens que la réponse de la France et de l’Europe est déséquilibrée ».

Pour conclure, Yves Bertoncini nous rappelle que la gestion des flux migratoires par l’Union européenne ne devrait être uniquement guidée par une logique pragmatique, mais dans le respect des valeurs européennes. Il relève ainsi que cette crise, qui se veut « le reflet d’une angoisse à la fois géopolitique et identitaire », devrait conduire, selon ses mots, « les responsables politiques à essayer de mettre de l’ordre dans ce chaos, y compris sur le plan moral, ce qui ne devrait pas être incompatible avec l’efficacité ».