Yves Bertoncini, Président du Mouvement Européen – France donna un discours d’ouverture des 6ème Etats généraux de l’Europe, à Lille le 18 mars 2017.
Fiers d’être Français, donc Européens
Discours d’ouverture des 6ème Etats généraux de l’Europe
Yves Bertoncini, Président du Mouvement Européen –France
Lille, 18 mars 2017
C’est un plaisir pour moi d’ouvrir ces 6èmeEtats généraux de l’Europe, grand rendez-vous de la société civile engagée dans le débat européen en France, tout juste 10 ans après avoir participé à l’organisation des 1ers EGE dans cette belle ville de Lille. Je tiens à saluer Guillaume Klossa, à l’origine de cette initiative, mais aussi Sylvie Goulard et Gaëtane Ricard-Nihoul, qui étaient à nos côtés en 2007, de même que Martine Aubry et Jacques Delors, pour qui j’ai une pensée particulière.
J’ai le privilège de revenir à Lille en tant que Président du Mouvement Européen – France, qui anime la plateforme des « Euro-citoyens » avec le soutien de la Fondation Charles Léopold Mayer : je les remercie de leur contribution à l’organisation de cette journée, au même titre que le Mouvement Européen – Nord et l’ensemble des collectivités locales qui nous ont apporté leur soutien.
Nous ne sommes pas à nouveau réunis à Lille par hasard : il est naturellement symbolique pour nous de débattre dans une ville, un département et une région ayant une forte dimension européenne, tant par leur histoire que par leur géographie, mais aussi dans des terres où un parti europhobe a obtenu des scores substantiels.
Nous ne sommes pas non plus réunis en ce mois de mars par superstition : nous nous apprêtons en effet à célébrer le 60ème anniversaire de la signature des Traités de Rome, mais aussi à voter lors d’élections présidentielles et législatives déterminantes pour l’avenir de notre pays et pour l’évolution de la construction européenne.
Permettez-moi de me saisir de cette occasion pour adresser trois messages principaux aux Français et aux Européens.
1 – Le patriotisme, c’est l’amour des siens, le nationalisme, c’est la haine des autres
Mon premier message fait directement écho au titre de ces 6ème EGE, « Fiers d’être Français, fiers d’être Européens », mais aussi au titre des 1ers EGE, qui s’en était tenu à exalter la « Fierté d’être Européens ». Cette double fierté nous paraît une évidence, mais elle l’est encore plus quand elle est aussi clairement affirmée
« Le patriotisme, c’est l’amour des siens, le nationalisme, c’est la haine des autres » : nous devons au Grand Européen qu’est Romain Gary cette distinction salutaire. L’amour et le patriotisme ne sont pas exclusifs : on peut aimer tous ceux que l’on considère comme « les nôtres », qu’ils habitent dans la même ville, la même région, le même pays, le même continent ou la même planète. Nous pouvons chérir nos compatriotes français comme nos concitoyens européens, nous pouvons et devons concilier patriotisme national et patriotisme européen – il est essentiel de le souligner en ces temps particulièrement troublés. C’est le nationalisme qui, aujourd’hui comme hier, exclue et divise, et qu’il nous faut combattre sans relâche.
Nous savons bien qu’être Européens, c’est être « unis dans la diversité ». Etre Français, ce n’est pas être Belge ou être Allemand. Et en même temps, il nous appartient de mettre plus ou moins l’accent sur ce qui nous unit ou sur ce qui nous différencie. Je suis Savoyard, et je pourrais vous en dire beaucoup sur les différences qui nous séparent des Haut-Savoyards – je pense qu’on pourrait en dire autant ici sur ce qui sépare les Lillois et les Lensois… Tout est question de point de vue et de regard – et rien ne nous empêche d’enfiler nos lunettes d’« Euro-citoyens ».
Imaginons nous un instant dans les étoiles avec Thomas Pesquet – que verrions-nous ? Que nous Européens vivons sur un territoire équivalant à 1% de la surface du globe, à3% des terres émergées et que nous représentons à peine 7% de la population mondiale (à peine 6% lorsque les Britanniques nous auront quittés). Et que vus de Pékin, de Lagos ou de Brasilia, nous existons déjà comme « Européens », à la fois pour ce que nous sommes et par le projet collectif qui nous unit depuis six décennies.
2 – Soyons plus Européens que jamais dans le monde d’aujourd’hui
Soyons plus Européensque jamais dans le monde d’aujourd’hui : tel est le deuxième message que je voudrais adresser aux chefs d’Etat et de gouvernement réunisdans une semaine à Rome, où nous irons nous aussi dialoguer et marcher pour y faire battre le cœur de la société civile européenne.
Soyons fiers d’être Européens tout d’abord, puisqu’avec 7% de la population de la planète, nous produisons environ un quart de ses richesses, environ 11% de ses émissions de C02, tout en finançant près de la moitié des dépenses sociales. Soyons fiers de notre modèle de développement, qui s’efforce de concilier efficacité économique, cohésion sociale et protection de l’environnement, sans tout miser sur l’une ou trop négliger l’autre, comme la Chine et les Etats-Unis. Soyons fiers d’un modèle de société qui promeut la démocratie, l’Etat de droit, les droits de l’homme, l’égalité homme-femme, le respect des minorités – et qui refuse la peine de mort. Soyons fiers de la priorité que nous accordons au règlement pacifique des différends, fiers de ne pas envoyer de soldats sans uniformes se faire tuer chez nos voisins et de ne pas soutenir le terrorisme – c’est cela aussi qu’être Européens et qui nous distingue de maints autres pays ou régions du monde. Soyonsd’autant plus fiers d’être Européens au moment où Donald Trump nous fait douter de la fidélité de notre allié américain à tous les principes et valeurs que je viens de rappeler – et si d’aventure il n’y avait plus vraiment d’Occident, soyons encore plus fiers d’en être les principaux dépositaires!
Etre Européens, c’est également être unis par un projet commun – c’estaussi pour débattre de ce projet que nous sommes réunis aujourd’hui à Lille, en ces temps de triple anniversaire.
Celui des Traités de Rome, qui donnèrent un coup d’accélérateur décisif à l’aventure collective dont le Congrès de La Haye, la déclaration Schuman et la CECA avaient posé les bases. Nous célébrons aussi les 30 ans du lancement d’Erasmus, qui symbolise au quotidien l’Europe comme espace d’échanges et d’opportunités, à laquelle les jeunes générations sont si attachées. Nous célébrons enfin les 15 ans de la mise en circulation de l’euro, qui incarne l’Europe qui nous protège de la spéculation financière mondiale et de la guerre des monnaies – raison pour laquelle aucun des 19 peuples qui l’ont adopté n’est résolu à en sortir.
Ce triple anniversaire, il nous faut naturellement le célébrer en mesurant tout le chemin parcouru par les peuples européens depuis la fin de la seconde guerre mondiale, mais aussi en nous tournant vers le monde d’aujourd’hui pour redonner tout son sens à notre union. Je ne doute pas que les ateliers qui vont nous réunir ce matin formuleront sur ce registre des recommandations constructives et judicieuses aux responsables politiques et européens dans la perspective du sommet de Rome, et bien au-delà.
3 – Si les Français sont eurosceptiques, ils sont surtout franco-sceptiques et ne sont pas majoritairement europhobes.
Le troisième message que je souhaite délivrer aujourd’hui s’adresse tout particulièrement aux Européens, qui regardent la France avec inquiétude. Je voudrais les rassurer en leur disant que les Français sont certes eurosceptiques, mais qu’ils sont surtout franco-sceptiques et ne sont pas majoritairement europhobes.
Les Français sont eurosceptiques à leur manière – qui les distingue d’autres eurosceptiques de notre continent.Un seul exemple : nous pouvons pester contre la règle de « 3% de déficit public » que nous nous sommes engagés à respecter à Maastricht, et la considérer comme un « dogme insupportable », alors même que notre déficit n’a été inférieur à 3% que deux fois au cours de 15 dernières années… Notre laxisme récurrent fait le lit d’une autre forme d’euroscepticisme, aux Pays-Bas, en Allemagne et ailleurs : celui qui se nourrit d’un déficit de confiance entre pays de l’UE et perturbe la mise en place d’une solidarité européenne accrue en matière budgétaire. C’est aussi pour interpeller les candidats à l’élection présidentielle sur leurs intentions et projets face à de tels défis que nos ateliers de ce matin nous rassemblerons.
C’est d’abord le démon du franco-scepticisme que ces candidats auront à terrasser. Le franco-scepticisme, c’est ce désarroi qui semble nous avoir saisis, cette perte de confiance en notre destin collectif, qui découle pour une large part de la manière dont la France a été dirigée depuis une quinzaine d’années et nourrit le Front National. Tout ne se joue pas à Bruxelles pour la France, toutes nos lois n’y sont pas fabriquées, tout ne s’y décide pas – c’est d’ailleurs une bonne nouvelle, puisque cela signifie que nous avons notre destin en main et que nous pouvons « y arriver » si nous utilisons mieux tous les atouts de notre pays ! Je suis personnellement convaincu que le temps du rebond est à la fois possible et proche pour la France, et qu’il est le préalable indispensable au rebond de la construction européenne,portée par un pays confiant et dynamique.
Car ma conviction – notre conviction à tous – c’est enfin que les Français ne sont pas majoritairement « europhobes ». Nous ne voulons pas sortir de l’UE, et encore moins de l’euro, car il nous protège de la finance folle : le Front national se cassera les dents sur cette évidence politique et populaire. Nous ne voulons pas non plus sortir de Schengen, c’est-à-dire réinstaller des contrôles systématiques à nos frontières nationales, car ils pèseraient chaque jour sur près de 350 000 frontaliers, des milliers de chauffeurs routiers, sur tous ceux qui profitent de la manne touristique intra-européenne – sans nous permettre d’arrêter un seul terroriste, puisque c’est quand ils ne sont pas sur leurs gardes qu’il faut les débusquer. J’ai plaisir à le dire en ces terres des Hauts de France : il est temps de voir ou de revoir « Rien à déclarer », le beau film de Dany Boon, afin de mesurer l’inanité des contrôles frontaliers d’antan le long d’une frontière franco-belge de 620 kilomètres – pour ne pas succomber à nouveau au syndrome de la « ligne Maginot ».
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Puisque nous sommes réunis en des lieux symboliques et en des circonstances historiques, je voudrais conclure mon propos en me référant aux Pères fondateurs qui ont lancé la construction européenne après la seconde guerre mondiale – parmi lesquels Jean Monnet et Robert Schuman. En me référant ensuite aux Fils fondateurs qui ont permis à notre union de connaître des avancées décisives lorsque la « guerre froide » et la division de l’Europe prirent fin – parmi lesquels Jacques Delors et François Mitterrand. Par deux fois, un groupe de dirigeants européens clairvoyants et déterminés ont façonné l’histoire de notre continent – et par deux fois des hommes d’Etat français ont joué un rôle déterminant parmi eux.
Nous sommes aujourd’hui en quête des Petits-fils et Petites-filles qui reprendront le flambeau pour adapter la construction européenne à d’autres bouleversements géopolitiques. Dans cette perspective, nul doute que le destin de la France et le sort de la construction européenne seront à nouveau étroitement imbriqués, une fois que notre élection présidentielle aura livré son verdict. Nul doute aussi que cette nouvelle donne sera forgée dans un contexte beaucoup plus participatif que jadis, et que la génération dont l’Europe a besoin émergera aussi des rangs de la société civile. C’est une raison supplémentaire de nous mettre au travail avec ardeur – et que vivent les 6ème « Etats généraux de l’Europe » !