Europe de la Défense : l’urgence d’une convergence

Tribune publié par Yves Bertoncini 07.03.22 dans Ouest France

L’agression de l’Ukraine par Poutine a suscité une solidarité inédite en Europe, en soutien de l’héroïque résistance des habitants de ce pays. Cette guerre a aussi précipité une prise de conscience salutaire de la nécessité de renforcer la défense de nos pays, autres cibles potentielles de Moscou. Le caractère historique des réponses et annonces européennes a été justement souligné, de la livraison d’armes létales aux Ukrainiens à l’augmentation durable des dépenses militaires de pays comme l’Allemagne.

Ce tournant allemand et européen est aussi majeur que celui ayant conduit à la mise sur les rails de l’euro grâce au Traité de Maastricht : il débouchera sur des avancées substantielles de l’Europe de la défense si une convergence à la fois stratégique, politique et industrielle s’opère, à laquelle notre pays doit être très attentif s’il souhaite baliser efficacement le chemin.

Convergence stratégique d’abord. La 1ère leçon que tireront les Européens après la brutale agression russe est que l’OTAN est absolument vitale pour notre sécurité, dès que des ennemis d’envergure nous menacent. Cette vérité demeurera aussi longtemps que la mise à niveau militaire des Européens sera en cours – et tant que la France n’aura pas étendu le champ de sa dissuasion nucléaire à tout le continent… La quête d’« autonomie stratégique » doit donc être poursuivie résolument en matière économique et à l’égard de Moscou : elle s’avérerait répulsive en matière militaire pour nombre de pays de l’UE, soucieux de préserver le couple transatlantique. Un surcroît d’autonomie de l’UE aurait-il changé quoi que ce soit face à la Russie ?

L’avènement d’une Europe de la défense requiert aussi d’importantes convergences politiques entre Etats. La plupart des pays de l’UE s’engageant à consacrer 2% de leur PIB à la défense, c’est en effet sur la définition des conditions d’usage de la force que se jouera la portée concrète des bonnes résolutions actuelles. Toute convergence européenne suppose dès lors que les décisions relatives à la défense – des exportations d’armes aux interventions militaires extérieures – soient soumises à un contrôle politique, parlementaire et public adéquat – beaucoup plus fort chez les voisins que chez nous, ce qui nous expose au risque permanent du cavalier seul.

C’est enfin sur la base de convergences opérationnelles que l’Europe de la défense a une chance de croître vraiment. Cela suppose l’accélération des projets communs en matière de R&D, de forces armées, mais aussi en matière industrielle, comme ceux dédiés à l’avion de combat ou au char de combat du futur, sur la base d’un partage délicat et équitable entre les pays impliqués. Il faut d’urgence renforcer et élargir cette mutualisation industrielle afin qu’elle tire pleinement bénéfice de la montée en puissance des budgets nationaux de défense, sauf à vouloir poursuivre la vente de fleurons nationaux susceptibles d’être délaissés pour leurs concurrents américains – ces derniers pouvant parfois continuer à être préférés à court terme…

L’euro ne s’est pas fait en un jour : il est advenu en application de « critères de convergence » ayant nécessité des ajustements politiques constants et urticants, tels celui relatif à la limitation des déficits publics à 3% du PIB. Il en ira de même de l’Europe de la défense, plus indispensable que jamais, et dont l’avènement appelle notre pays à combiner ambitions et concessions, au prix de quelques ruptures aussi salutaires que l’objectif qu’elles serviront : la préservation de notre sécurité et de notre liberté de Français et d’Européens.

 

Tribune publié dans la version print d’Ouest France.