Vendredi 22 novembre 2019 dans l’auditorium de l’Atria l’hôtel Mercure à Arras, près de 250 personnes se sont réunies pour débattre sur l’environnement et le climat.
François Vié, président du Mouvement Européen Pas-de-Calais, ouvre la séance. Le sujet est d’actualité comme l’ont montré les résultats des élections européennes, des mouvements de jeunes, ainsi que les priorités affichées par la nouvelle Commission européenne. Par ailleurs la COP 25 va se tenir en décembre pour poursuivre la mise en œuvre de l’accord de Paris. La conduite des débats est ensuite assurée par Anne-Henry Castelbou, journaliste. Trois exposés permettent de cerner le sujet :
- Eric Guilyardi, Directeur de recherche au CNRS, LOCEAN / Institut Pierre Simon Laplace, auteur principal du 5ème rapport du GIEC : Changement climatique: quel est le diagnostic de la science ?
Eric Guiltardi présente les grands mécanismes qui régissent le climat : échanges thermiques entre terre et espace, effets régulateurs des mouvements d’air dans l’atmosphère et des courants marins. Il montre ensuite les évolutions à long terme des températures de l’atmosphère. Le climat de notre planète change de plus en plus vite et, c’est l’activité des hommes qui en est la cause principale. Il en présente les causes principales : émissions de gaz à effet de serre, déforestation et autres conséquences de l’empreinte humaine. Nous prenons un risque considérable. Chaque hausse d’1/2 degré compte. Si l’on compare avec les hausses de températures du corps humain : 1 degré au-dessus de 37° est supportable, 2 rend malade, dépasser 3 ou 4 degré devient grave. 2° de hausse des températures de la planète seraient une crise, 3 un risque considérable, au-dessus une situation incontrôlable. Le consensus scientifique établi dans les rapports successifs du GIEC, est une opportunité de réflexion sur le monde que nous voulons et les mesures à prendre.
- Philippe Grandcolas, Directeur de recherche au CNRS, directeur de l’ISYEB au Muséum national d’histoire naturelle : Quelles sont les causes du déclin de la biodiversité et comment l’enrayer ?
Un million d’espèces végétales et animales sont aujourd’hui menacées d’extinction à brève échéance. On peut parler d’effondrement, tant les populations locales d’organismes diminuent ou disparaissent brutalement. Ainsi, les abondances de certaines populations d’insectes en Europe ont diminué de 75% en 20 ans. Plus d’un tiers des vertébrés (mammifères, oiseaux, amphibiens) sont frappés par cette chute vertigineuse conduisant aux extinctions si rien n’est fait. La biodiversité est négligée, considérée comme une variable d’ajustement. Les causes sont scientifiquement bien identifiées, notamment par l’IPDES. La perte du patrimoine naturel est moins visible, mais peut être comparée à notre perte de patrimoine historique « une cathédrale du vivant est en feu » C’est aussi une perte de services rendus par la nature à l’Homme, une perte d’options pour le futur. Pour arrêter ce déclin, il faut cesser de convertir des milieux naturels, limiter les intrants dans les cultures, développer les circuits économiques courts, éviter les pollutions, mais aussi le transport d’espèces invasives.
- Adina Revol, Conseillère économique à la Représentation permanente de la Commission Européenne à Paris, enseignante à Sciences Po : Que fait l’Union Européenne pour lutter contre le changement climatique et protéger l’environnement ?
Adina Revol commence par souligner l’importance de l’échelle européenne pour agir. Les enjeux ne sont plus seulement à l’échelle des Etats, mais à l’échelle européenne ou mondiale. L’Europe agit depuis les années 1990 et obtient des résultats en combinant des exigences de compétitivité (depuis 1996), environnementales (depuis 2003) de sécurité énergétique (depuis 2003) : politiques agricoles et de la pêche, contrôle des produits chimiques, zones Natura 2000 (18% du territoire européen en est couvert) En 10 ans, l’Union Européenne a créé une véritable Europe de l’énergie. En 2020 l’Europe s’est fixé un triple objectif de 20% d’énergie renouvelable, 20% d’amélioration de l’efficacité énergétique 20% de diminution des gaz à effets de serre. Ces objectifs sont globalement tenus. 20% du budget européen est consacré à la transition écologique.
Quelles sont les orientations de la nouvelle Commission européenne ? La nouvelle Commission européenne, par la voix de sa présidente Ursula von der Leyen affiche une priorité : le « Pacte vert européen ». Un des trois vice-présidents exécutifs, Frans Timmermans, en est chargé. Avec le numérique, c’est un nouveau modèle économique qui est proposé. Il s’agira de réformer la Politique agricole commune (30% des fonds alloués aux exploitants sont déjà conditionnés à des règles de protection de l’environnement) et de renforcer les politiques amorcées : l’instauration d’une fiscalité carbone européenne en supprimant la règle de l’unanimité pour toute décision touchant à la fiscalité. Malgré l’absence d’un marché intégré de l’énergie, la sécurité énergétique des pays membres progresse grâce aux réseaux transeuropéens de gaz ou d’électricité. La lutte contre la précarité énergétique n’en est qu’à ses débuts avec la création d’un Observatoire Européen de la Précarité Energétique. Un politique industrielle prend forme avec notamment l’Alliance Européenne pour les batteries.
Après une courte pause, un débat s’organise avec les intervenants et 3 acteurs régionaux, impliqués dans les questions environnementales :
- Christian Durlin, agriculteur. A diversifié son exploitation en bio, Président de la Chambre d’Agriculture Nord-Pas-de-Calais. Membre de la commission environnement de la FNSEA.
- Thierry Cornier, Directeur du Conservatoire botanique national de Bailleul.
- Thierry Verley, membre du Conseil d’administration de Générations Futures, ancien certificateur bio.
Question de la modératrice : « Peut-on imaginer une Europe sans pesticide ? »
Pour Thierry Verley c’est possible mais ça ne va pas assez vite. 10% des terres sont actuellement en bio et ce % est en progression. Une nécessité pour progresser est d’harmoniser en Europe les règles de production agricole. Thierry Cornier a du mal à imaginer une Europe sans pesticides, mais toutes les expériences doivent être mises à profit pour y contribuer. Christian Durlin n’oppose pas agricultures bio et
conventionnelle. Elles convergeront grâce d’une part à une optimisation de l’utilisation des intrants et d’autre part à l’augmentation de productivité des cultures bio. Une difficulté majeure pour l’agriculture européenne est qu’elle est à la fois soumise aux règles environnementales européennes et à un marché mondial. Il faut du temps (10 ans pour une nouvelle variété) et il faut que les contraintes
puissent être intégrées dans les prix de vente.
Question : il est envisagé par la nouvelle Commission de taxer aux frontières le carbone importé. Est-ce possible ?
Adina Révol : Ce n’est pas impossible mais difficile techniquement. Il faudrait, pour chaque produit, déterminer la quantité de carbone qu’ont généré sa production et son transport.
Question : les politiques de l’Union européenne sont-elles à la hauteur des enjeux ?
Philippe Grandcolas : les évaluations de la PAC ne peuvent pas se faire du jour au lendemain. Les consommateurs sont prêts, en Europe à payer un peu plus pour une nourriture de qualité. J’ai confiance en une convergence entre agriculture et consommateurs. Eric Guilyardi : Le rapport du GIEC sur la dégradation des sols montre que 20 à 25% des émissions de gaz à effet de serre sont liés à la façon de nous nourrir. 1/3 de ce qui est produit dans les champs est jeté. Les progrès doivent porter sur les modes de production, mais aussi sur les modes de distribution et de consommation. Les organismes d’évaluation n’ont pas toujours des méthodes scientifiquement rigoureuses, comme celles du GIEC. Thierry Cornier : ne pas oublier que le végétal est également touché par le réchauffement et la perte de biodiversité : 42% des espèces d’arbres sont menacées en Europe. Question : Quel impact aura la transition écologique sur nos
vies quotidiennes ? Pour Thierry Verley, il faudra avant tout consommer moins de viande, et nourrir les animaux avec l’agriculture locale.
Importer du soja, c’est provoquer la déforestation en Amérique du sud. C’est possible, certains agriculteurs parviennent à l’autonomie de leur exploitation.
Question : la Commission a évalué à 1115 milliards d’€ par an d’ici 2030, les investissements nécessaires pour réussir une transition écologique. Comment y parvenir ?
Adina Revol : au-dela du budget de l’UE, plusieurs instruments sont mobilisables pour orienter les investissements publics et privés vers la transition : Le plan Juncker doit être doublé de montant (dans sa première phase, il n’a été consacré que pour 30% à l’environnement) ; la Banque européenne pour le climat et l’environnement, annoncée par Ursula von der Leyen, serait une filiale de la Banque Européenne d’investissement, dont les emprunts seraient garantis par le budget de l’UE. Le système bancaire peut aussi contribuer à orienter l’épargne vers ces investissements.
Une 1⁄2 heure est consacrée à répondre aux questions posées par la salle par SMS
Question : que penser du CETA qui autorise une forte augmentation d’importation de viandes d’Amérique du sud ?
Adina Revol : l’UE protège par des normes tout en étant ouverte au commerce. Chaque concession à un partenaire commercial a sa contrepartie en faveur de l’Europe (par exemple l’accès aux marchés publics) Il faut en voir l’ensemble des aspects.
Question : Doit-on utiliser les serres chauffées pour produire du bio ?
Thierry Verley : elles ont été de fait interdites. Mais il faut reconnaitre que les cahiers des charges de production bio ont tendance à abaisser leurs critères.
Philippe Grandcolas : attention au piège consistant à focaliser sa critique sur un aspect (dans le cas du glyphosate, le risque que le produit soit cancérigène)
Question : doit-on poursuivre la production de biocarburants ?
Thierry Cornier : Ce sont en fait des agro carburants. On n’en connait pas le bilan carbone.
Eric Guilyardi : Les agro carburants sont en concurrence avec les cultures alimentaires.
Question : Comment appliquer les accords de Paris si certaines grandes puissances refusent de les appliquer ?
Adina Revol : le retrait des Etats-Unis laisse cependant observer que les Etats composants les Etats-Unis, comme les grandes villes américaines continuent à mettre l’accord en application. De fait le succès nécessitera l’action de chaque niveau : les citoyens ; les territoires, les entreprises, les Etats. Dans cette lutte qui est mondiale, l’UE doit être une médiatrice. Elle inclut déjà un chapitre environnement dans tous ses accords de commerce. En conclusion de cette réunion François Vié remercie chaleureusement les intervenants, le public et précise que le compte rendu synthétique sera disponible sur le site du Mouvement Européen Pas-de-Calais ainsi que les visuels utilisés par les intervenants.
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