Le 10 mars, notre président Yves Bertoncini s’est exprimé dans Atlantico, selon lequel, suite à la guerre en Ukraine, c’est vers la France que l’attente des Européens est la plus forte.
Selon les informations de nombreux médias dont Bloomberg, Emmanuel Macron serait actuellement en train de pousser en faveur d’un plan de résilience communautaire face à la crise en Ukraine. Ressurgit une question récurrente : est-ce le moment hamiltonien de l’Europe poussé par la France ?
Entre les attentats terroristes, la crise du Covid et maintenant la guerre en Ukraine, les Européens ont pris conscience qu’ils devaient s’unir. Lors de la crise du Covid justement, il y a eu un événement précurseur à ce que nous connaissons aujourd’hui : le fameux plan de relance financé par un emprunt commun. Ce n’est pas un moment hamiltonien à mes yeux car celui-ci n’a pas de caractère définitif.
Le plan de résilience peut à nouveau fonctionner comme un plan fédérateur. Selon moi, c’est davantage un mouvement macronien qu’hamiltonien. D’ailleurs, les capacités de financiers de Macron sont utiles. De plus, avec Olaf Scholz en Allemagne et Mario Draghi en Italie, cela peut vraiment aider. Tout dépendra de la manière dont ces dirigeants poussent ce « plan de résilience ». Si ce nouveau plan devient presque coutumier, il n’est pas permanent et n’est donc pas un moment hamiltonien.
Cependant, malgré le fait que ce plan va certainement se faire, je suis très soucieux d’une chose. Je comprends qu’on veuille aider les pays qui souffriraient de la hausse des prix à cause de leur dépendance à la Russie. En revanche, je ne comprends pas pourquoi on veut mêler des questions de défense à ces problèmes. Certains pays comme l’Autriche ou l’Irlande sont neutres et se sont abstenus de livrer des armes à l’Ukraine. Peut-on les forcer ? Cela pose une véritable question de souveraineté.
Une enquête du European Council on Foreign Relations, un think tank pro européen, témoigne du fait que sur la sécurité et sur la défense, sur la gestion d’une future pandémie et dans une moindre mesure sur la question des conditions de vies, les états membres ont besoin de l’aide de l’UE. Est-ce que l’on peut interpréter ça comme une volonté européenne de plus d’Europe, voire d’une forme de fédéralisme de la part des européens ? La guerre en Ukraine pourrait-elle être le moment où l’UE avance véritablement vers plus de fédéralisme si l’on en croit ce sondage ?
Lorsqu’on assiste à des moments fédérateurs comme celui qu’on observe actuellement, il y a toujours une poussée du fédéralisme et la crise actuelle montre aux européens que l’OTAN est indispensable.
En matière de défense, François Hollande avait déjà fait adopter un fond européen.
Maintenant que l’Europe a réellement besoin d’une instance forte pour garantir sa défense, on va bien voir si on va se doter d’outils au niveau européen. On peut remarquer, à travers la crise actuelle, que l’Europe a su se mobiliser d’une manière inédite pour venir en aide à l’Ukraine. On arrive donc à un moment très important dans l’histoire de la construction européenne.
Cette même enquête témoigne d’une confiance des européens envers la France, considérée comme fiable et susceptible de défendre les intérêts européens sur la sécurité, la défense, la démocratie et les droits de l’homme. La France a-t-elle, à en croire les réponses des européens, ce qu’il faut pour être un leader européen ?
La France est un leader incontestable dans l’histoire européenne. Le leadership français en Europe découle de notre système institutionnel de la 5ème République. Le chef d’État est très libre. De surcroît, il est chef des armées à la tête d’un pays qui a un vrai statut diplomatico-militaire. Après le Brexit, ce pouvoir de la France s’est fortement accentué puisque les Britanniques ont également une certaine forme de pouvoir avec une armée puissance et l’arme nucléaire. En période de tensions internationales comme aujourd’hui, il est donc logique qu’on se tourne vers la France. Sur ce point, Emmanuel Macron fait preuve de beaucoup d’activisme mais il faut noter que c’était déjà le cas pour François Hollande avec les accords de Minsk. Deux questions se posent désormais. La première est de savoir si on va exercer ce leadership en tenant compte des ressentis et des visions de nos partenaires européens. La seconde sera de savoir si nous agirons en adéquation avec les préférences des citoyens français. Il y a donc une certaine opposition entre citoyens européens et compatriotes français. Emmanuel Macron doit pouvoir relever ces deux défis à la fois. Certaines poussées fédératrices comme la CECA sont passées, mais la Communauté Européenne de Défense non. Si Macron a joué un très grand rôle avec ce plan de relance, cela va, d’un point de vue comptable, coûter plus à la France que cela ne va lui rapporter.
Si l’on regarde cette enquête du think tank ECFR, comment analyser notamment l’opinion particulièrement négative des français vis-à-vis d’une souveraineté européenne ?
Il est important de noter que la France est un pays unitaire, souverainiste et qui n’a pas de culture fédérale. De plus, sous la 5ème République, il n’y a pas de culture parlementaire. Du point de vue de son organisation même, la France est très éloignée du reste des pays Européens qui ont une vraie culture du partage du pouvoir. Comme le disait De Gaulle, l’Europe doit être construite autour des intérêts français, comme une sorte de levier d’Archimède. Cette idée, très consensuelle en France, n’est pas forcément partagée dans les autres pays européens.