En cette période dense de Présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE), le Secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes, Clément Beaune, nous a fait l’honneur d’accepter notre invitation à échanger autour des enjeux et défis de la PFUE, et de prendre le temps de répondre aux questions très variées du public. Ce moment de partage à un moment clé pour la France en Europe a été organisé à l’initiative du Mouvement Européen – France en partenariat avec l’Institut de relations internationales et stratégiques.
La conférence a débuté avec un mot d’introduction du Délégué général du Mouvement Européen – France Jérôme Quéré, qui a rappelé que c’était dans l’ADN du Mouvement Européen de s’intéresser aux questions européennes. C’est le cas même en dehors des présidences françaises du Conseil de l’UE mais il renforce d’autant plus ses activités pendant ces moments importants. Du 1er Janvier 2022 au 30 Juin 2022, pour la première fois depuis 13 ans, la France exerce la Présidence du Conseil de l’Union européenne. Les priorités françaises annoncées pour la PFUE sont les suivantes : Une Europe plus souveraine, une Europe plus verte, une Europe plus numérique, une Europe plus sociale et une Europe plus humaine. “Relance, puissance, appartenance” telle est la devise de la Présidence française du conseil de l’Union Européenne.
En début de propos, Clément Beaune a rappelé que lors de cette Présidence, la France ne dirige pas toutes les institutions européennes, mais que d’importantes négociations allaient toutefois être menées. Il a rappelé les priorités de la France dans quatre domaines : la taxe carbone aux frontières de l’Union Européenne (climat), la responsabilité juridique pour les grands acteurs numérique créée par le Digital Services Act et le Digital Markets Act numérique (numérique), les salaires minimum en Europe (social), et enfin, les frontières et la question migratoire. Une présidence, c’est aussi “parler d’Europe, de l’Europe en France, des idées françaises en Europe. Il y a aussi une idée de projection, de regard sur l’avenir.” Le Secrétaire d’Etat a également annoncé que “cette Présidence est aussi le moment de nouvelles idées pour préparer l’avenir de l’Europe, comme le service civique européen, et la France, en tant qu’État fondateur, a une responsabilité particulière en la matière”. En tant que membre fondateur de l’Union européenne, la France a cette responsabilité de convaincre les autres États européens.
Après cette introduction, place à un échange de questions/réponses entre le public et le Secrétaire d’État aux Affaires européennes.
La taxe de l’OCDE sur les multinationales de 15% a complètement freiné et passé sous silence le projet de taxation des multinationales de l’UE, cette taxe de l’OCDE vient-elle remplacer celle de l’UE ?
Pour Clément Beaune, les États-Unis avaient au départ mis un verrou pour au final le retirer. L’idée a été portée par l’Europe, la France y a joué un rôle important depuis 2017-2018. Les pays Européens se sont battus pour que la Commission européenne propose une taxe, qui était légèrement différente sur les entreprises du numérique. De nombreux pays européens (24) ont soutenu ce projet. Finalement, après le changement de présidence, les Etats-Unis se sont ralliés à l’accord international. Mais l’accord est devenu entre temps un accord sur les multinationales. La France souhaitait que cette taxation soit de 21 %. Elle sera finalement de 15% ce qui reste un progrès non négligeable. A court terme, l’idée est de transformer cet accord politique en législation et que cette “législation soit pour les pays de l’UE la même, il y a une proposition européenne depuis la fin de l’année”. Ce sera un des sujets de la Présidence française.
La France pousse-t-elle l’élargissement de l’UE, notamment aux Balkans, sachant que la situation politique de certains pays peut faire un peu peur en ce moment ?
Le Secrétaire d’État pense qu’ils vont rentrer et devraient rentrer dans l’Union européenne. Deux pays sont en négociation depuis plusieurs années : la Serbie et le Monténégro. Un accord politique à 27 a été donné pour ouvrir la négociation juridique d’adhésion mais il y un blocage de la part de la Bulgarie. Il a rappelé également que la Bosnie Herzégovine et le Kosovo n’étaient pas entrés dans le processus de négociation pour des raisons différentes, notamment des problèmes internes majeurs à régler. Il conclut par le fait qu’une intégration des Balkans serait dans l’intérêt de tous mais cela ne doit pas être fait précipitamment : “si nous avons à intégrer les Balkans occidentaux à l’UE, il faudrait d’abord trouver d’autres “modes de relation” avec les autres pays voisins.”
Concernant la devise “relance, puissance, appartenance”, est ce que les citoyens ont une réelle appartenance aux affaires européennes ?
Le Secrétaire d’Etat a répondu que l’UE n’était pas dans une crise démocratique mais qu’on était bien plus exigeants envers les institutions européennes que celles françaises. Il admet que certaines choses pourraient être améliorées telles qu’une plus grande prise en compte des parlements nationaux dans les discussions européenne et donner le pouvoir d’initiative législative au Parlement européen. Il a rappelé que les mécanismes démocratiques existent et sont les mêmes partout mais le manque d’un sentiment d’appartenance pose problème. Cela se reflète par une faible participation aux élections européennes, les rendant moins légitimes. Le taux de participation lors des dernières élections européennes, inédit depuis plus de 20 ans, montre tout de même que la prise en compte des enjeux européens et des tensions a réveillé les consciences, notamment chez les jeunes.
Au niveau des migrations, y a-t-il d’autres pistes explorées pour éviter l’instrumentalisation par nos voisins ?
Le Secrétaire d’État réaffirme l’importance de Frontex. Selon lui, défendre un projet européen ne veut pas dire vivre dans un monde où il n’y a pas de frontière, pas d’État, pas de régulations. L’Europe est un projet politique avec des institutions, des valeurs, des frontières et un sentiment d’appartenance. L’Europe ne peut pas exister ou alors ne peut pas être vouée à exister sans ce socle de quatre ou cinq éléments. Les frontières et leur protection en font partie. Mais l’Europe n’a pas encore de mécanisme de réaction et d’urgence car elle n’a pas “été conçue pour cela”.
Va-t-on repenser la Défense européenne avec une armée européenne ?
Clément Beaune a affirmé qu’il y avait une volonté d’avancer, notamment à travers un sommet européen les 10 et 11 mars prochain sur la souveraineté européenne en général, suivi d’un autre sommet les 24 et 25 mars prochain où on adoptera la boussole stratégique, une forme de livre blanc européen sur la sécurité et la défense. Cela ne veut pas dire avoir une armée européenne.
La diplomatie féministe n’apparait pas dans le programme officiel de la PFUE, comment la France souhaite la porter au niveau européen mais aussi dans ses relations de politiques extérieures ?
Clément Beaune admet que la France n’est pas pionnière de la diplomatie féministe, avant de préciser que la France veut aussi défendre la cause de l’action féministe, notamment en soutenant des actions de développement ou d’accès à l’éducation. Le corps diplomatique français s’est d’ailleurs féminisé depuis quelques années, ce qui est un premier pas.
Une place de choix sera-t-elle laissée aux bio-carburants aux côtés des autres énergies renouvelables que l’on connaît ?
Pour le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, le débat consiste à connaître le rythme auquel on passe aux biocarburants de nouvelle génération et avec une forme d’arbitrage à faire entre, d’une part, attendre un peu pour passer à des carburants de nouvelle génération beaucoup moins polluants mais qui mettront du temps, et d’autre part, amplifier le recours aux biocarburants existants imparfaits mais qui représentent un progrès. En France comme en Europe, il y a un grand débat sur le nucléaire mais “une priorité absolue doit être donnée à l’investissement aux énergies renouvelables”. En 2030 et 2050, le continent européen sera le continent où le recours au renouvelable sera le plus fort.
Aux yeux de Clément Beaune, cette Présidence française est donc avant tout “un mouvement politique d’appropriation des sujets européens dans son pays et un accélérateur dans certaines négociations”. Le délégué général du Mouvement Européen-France, Jérôme Quéré, a conclu cet échange en reprenant certains mots de Clément Beaune : “La PFUE c’est formuler des idées, essayer de convaincre sans imposer, avec une volonté d’avancer sans perdre de temps, même si tout ne se conclura pas sous cette Présidence française de l’Union européenne”.
Pour revoir ces échanges en intégralité en vidéo, c’est ici.