Commission européenne : stop aux idées fausses

La Commission européenne lors du 1er jour de la présidence néerlandaise au Conseil de l'Union européenne en 2016, illustration via EU2016NL sur Flickr

Le Mouvement Ardennes vient de sortir le numéro 5 de sa lettre européenne des Ardennes. Elle analyse la Commission européenne et ses compétences. Après avoir présenté le Parlement et ses pouvoirs aujourd’hui très étendus (La Lettre n° 3-4), venons-en à La Commission européenne sur laquelle circulent beaucoup d’idées fausses.

Mise en place en 1957 dans l’enthousiasme de la création de la Communauté Économique Européenne, la Commission européenne a traversé une période chaotique à partir de 1965 en raison de divergences de vues de certains États quant à son rôle et ses pouvoirs. C’est à partir de 1985 (sous la présidence de Jacques Delors) que la Commission est devenue un acteur essentiel permettant de nombreuses avancées de l’Union européenne.

Pivot du fonctionnement européen, à la triple mission.

Selon le Traité de l’Union européenne (article 17 du Traité sur l’Union européenne), la Commission promeut l’intérêt général de l’Union européenne, face aux États membres comme face au monde extérieur à l’Union. Elle a pour ce faire trois missions essentielles (1) :

 Veiller à l’application du droit européen. C’est pourquoi on l’appelle « la gardienne des traités ». Elle ne le fait pas seule et de manière arbitraire comme on l’entend dire parfois, mais sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne.

Proposer les nouveaux textes législatifs et la programmation annuelle et pluriannuelle de l’Union. On entend dire qu’elle a le « monopole » de l’initiative, voire qu’elle dirige tout et qu’elle serait donc la seule cause de tous les maux de l’Union. Ceci est faux : la Commission prend des initiatives en fonction des orientations du Conseil européen (la voix des États), des demandes du Parlement européen, voire des citoyens (grâce au système des initiatives citoyennes), et des nombreuses données techniques (européennes et internationales) rassemblées par ses services. Ces initiatives sont ensuite discutées par le Parlement européen (la voix des peuples) et par le Conseil européen jusqu’à l’obtention d’un consensus (voir le schéma page 7). Cela vaut pour les propositions de directives et autres textes, comme pour les projets de budget de l’Union.

Exécuter le budget et gérer les programmes adoptés par l’Union européenne. Là encore, la Commission ne travaille pas seule, mais sous le contrôle vigilant de la Cour des comptes européenne, dont le rapport annuel est examiné par le Parlement européen, qui approuve ou pas l’exécution du budget par la Commission.

Le respect du principe de subsidiarité.

Lorsque la Commission propose un acte législatif ou un programme au niveau de l’Union européenne, c’est seulement si le problème qui se pose ne peut pas être efficacement résolu au niveau national, régional ou local. C’est le « principe de subsidiarité » qui consiste à prendre les décisions, de façon prioritaire, au niveau le plus proche possible des citoyens.

Pour respecter ce principe, la Commission consulte les parlements nationaux, les gouvernements, parfois le grand public (par des consultations ouvertes), le Comité des régions (formé des représentants des autorités régionales et locales de toute l’Union), le Comité économique et social européen (formé des représentants des employeurs et des syndicats).

L’idée que 80 % des lois en vigueur dans les États membres viennent de l’Union européenne, et que la Commission européenne réglementerait tout jusqu’à la taille des logements ou la forme des concombres, est fausse. En France, environ 20 % des lois ont, à ce jour, une origine européenne. Dans certains domaines, ce pourcentage est plus élevé. Par exemple, pour la pêche ou l’agriculture, il peut atteindre 40 % en raison notamment de la politique agricole commune et de la gestion de la ressource dans les mers. Dans d’autres secteurs, par exemple l’éducation, il n’y a pas de texte législatif d’origine européenne, mais seulement des programmes de soutien, par exemple pour favoriser la mobilité des jeunes.

Une organisation centrale et des antennes proches des citoyens.

La Commission européenne est dirigée par un Président et un collège de 28 commissaires, un par État membre (2). Ces commissaires, proposés par chaque État membre, ont occupé des fonctions politiques dans leur pays, mais en qualité de membre de la Commission européenne, ils ne défendent pas l’intérêt d’un pays en particulier. Ils sont tenus d’agir dans l’intérêt commun de l’Union.

Le Parlement européen auditionne chaque candidat, puis se prononce par un vote d’approbation sur le collège des commissaires et élit le Président de la Commission (articles 244 à 250 du Traité sur le fonctionnement de l’UE). Le Parlement peut en outre contraindre la Commission à une démission collective en votant une motion de censure. Le mandat de la Commission est de 5 ans.

L’idée d’une Commission européenne pléthorique coûtant trop cher est à relativiser. La Commission est organisée en Directions générales (DG), responsables des différents domaines d’action et aidées par des Services et Agences exécutives. Les fonctionnaires européens travaillant au sein de la Commission sont des ressortissants de tous les États membres de l’Union. Ils sont aujourd’hui au nombre de 32 000. Ce nombre, parfois considéré comme très élevé, est en fait inférieur à celui des effectifs employés par exemple par la ville de Paris, et le travail technique que ces fonctionnaires européens accomplissent est très conséquent.

L’idée d’une Commission européenne éloignée des citoyens est fausse. Le siège de la Commission se trouve à Bruxelles, mais il existe aussi des « bureaux de représentation » dans chacun des États membres. Ces bureaux sont des porte-paroles de la Commission. Ils observent aussi les opinions publiques nationales. Ils mettent à disposition beaucoup d’information sur l’Union européenne dans la langue du pays concerné, organisent des événements liés à l’Union, des visites pour les écoles, etc. La Commission finance également les centres Europe Direct qui renseignent notamment les jeunes sur la mobilité en Europe.

La Commission dispose par ailleurs de 139 bureaux en dehors de l’Union, appelés « délégations », chargés d’expliquer la politique étrangère de l’Union, de faire remonter des analyses des politiques nationales, etc.

Un budget de fonctionnement limité.

Une affirmation est souvent répétée : « L’Europe coûte cher, et en particulier ses institutions » (sous-entendu : le Conseil avec son secrétariat, le Parlement avec ses députés, leurs assistants, les traducteurs, la Commission avec ses 32 000 fonctionnaires, la Cour de justice, la Cour des comptes, etc.). En fait, actuellement, l’ensemble des dépenses de fonctionnement administratif de ces institutions s’élève à 6 % du budget annuel de l’Union européenne, lequel correspond à 1 % de la richesse produite par les 28 États membres en une année.

Et si l’on entend parler d’augmentation du budget de l’Union européenne pour les années à venir, ce n’est pas avec l’intention d’augmenter, à travail constant, le budget de fonctionnement des institutions, mais pour donner à l’Union la possibilité d’agir plus, d’être plus ambitieuse en matière de protection des populations, d’environnement, de défense, etc.

En examinant le travail accompli par la Commission européenne, on se demande vraiment comment l’Union européenne pourrait fonctionner sans la Commission, dans le monde complexe d’aujourd’hui. Et si l’on s’inquiète, avec raison de l’influence des lobbies sur le travail réalisé par la Commission européenne (et les autres institutions européennes), la solution n’est pas dans la critique permanente de cette Commission, mais dans la surveillance de son travail par les outils de transparence existants et dans l’utilisation pugnace de toutes les possibilités d’intervention citoyenne (individuelle ou via les associations, les organisations non gouvernementales, etc.).

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1- Parmi les nombreuses autres missions de la Commission européenne, la préparation des accords internationaux (entre l’Union européenne et d’autres pays) a conduit aux commentaires les plus divers. Sans entrer ici dans le détail, rappelons que, selon les traités de l’Union européenne, c’est le Conseil des chefs d’États et de gouvernement qui autorise la négociation des accords et qui conclut leur signature, la Commission effectuant le travail technique. Et l’article 218-10 du Traité sur le fonctionnement de l’Union indique que « Le Parlement européen est immédiatement et pleinement informé à toutes les étapes de la procédure » de l’accord international, l’article 218-6-a précisant les nombreuses situations dans lesquelles l’approbation du Parlement européen est en outre nécessaire. C’est donc une idée fausse de penser que la Commission décide seule des accords internationaux.

2-  Des propositions ont été faites pour réduire à l’avenir le nombre de commissaires. Mais en 2018, ce nombre reste fixé à un par État membre.