Le journaliste Bernard Guetta, spécialiste en géopolitique et chroniqueur sur France Inter, a longuement échangé avec les élèves de l’Ecole du journalisme de Nice à l’invitation du Mouvement Européen – Alpes–Maritimes. Il est revenu sur sa conception du journalisme, la couverture de la chute de l’URSS, sa vision des relations avec la Russie et son engagement pour l’unité européenne.
Vidéo. Dans un dialogue ouvert avec les étudiants, Bernard Guetta a décrypté l’actualité européenne du moment. L’occasion d’un point de méthode sur la manière de couvrir la vie politique de l’Union, sujette de son point de vue à des approximations dans les rédactions hexagonales, pour cause d’un manque de sensibilisation aux enjeux européens.
« S’engager pour l’unité européenne »
« Un journaliste peut-il être engagé ? » Au cœur de l’intervention, cette première question d’un élève. Pour le chroniqueur et écrivain, ancien correspondant en Pologne à l’heure de l’émergence du syndicat Solidarnosc, le journaliste « doit être engagé ». Il revient sur ses combats : « la transition démocratique en Europe centrale et orientale ainsi que la chute de l’URSS » avant de s’engager depuis la fin des années 90 « pour l’unité européenne ».
Bernard Guetta, journaliste, spécialiste en géopolitique et chroniqueur France Inter intervient à l'école du journalisme de Nice à l'invitation du Mouvement Européen.
Publié par Mouvement Européen-France sur vendredi 23 mars 2018
Bernard Guetta rappelle l’époque où « acheter un journal revenait à appartenir à un club. On fondait un média pour mener une bataille politique ». Il prend exemple sur le journal italien La Repubblica conçu pour être « un journal-parti, un mouvement politique ». A l’heure de l’information en continu sur tous les supports, les faits se diffusent rapidement : « c’est dans l’air, sur nos téléphones, nos ordis. Pour qu’un lecteur achète un journal – qui sera de plus en plus cher – il faut qu’il y ait une valeur ajoutée » analyse le reporter.
« Sans faire d’eurocentrisme, les cultures européennes ont façonné le monde »
Le journaliste revient sur son engagement pour l’Union et la genèse du projet européen. Il tient pour démarrer à lire devant les élèves le discours de Victor Hugo sur les Etats-Unis d’Europe. L’auteur y valorise les « glorieuses individualités » nationales, compatibles avec « la fraternité européenne » qui liera « demain » les pays européens comme les régions françaises le sont aujourd’hui.
Pour Bernard Guetta, le projet européen a été conçu pour « unir les démocraties européennes, pour qu’elles ne recommencent pas à se faire la guerre et pour qu’elles puissent faire front à l’URSS ». Il plaide pour « additionner les qualités des nations européennes. Nous sommes le seul continent à pouvoir parler dans leurs langues aux peuples du monde » note ce spécialiste de politique internationale. Un avantage comparatif valable uniquement « si nous constituons l’Europe comme une union politique ».
A l’heure où la présidence de Donald Trump modifie l’équilibre géopolitique mondial, Bernard Guetta place la construction européenne comme la question centrale de l’époque : « souhaitez-vous avoir une place à la table des grands de ce monde ? Souhaitez-vous peser dans la conduite des affaires ? Moi oui ! » plaide le journaliste. Il rappelle le rôle de l’Europe dans l’Histoire, « les cultures européennes ont façonné le monde », et plaide pour une approche commune de la politique internationale.
« La Russie est européenne »
« Il y a deux pôles sur ce continent : l’Union européenne et la Russie. Tant qu’il n’y aura pas d’équilibre entre les deux, nous aurons des tensions et un risque de conflit », analyse Bernard Guetta en réponse aux questions des élèves suite à la réélection de Vladimir Poutine le 18 mars dernier. Il plaide ainsi pour un « modus vivendi » entre la Russie et l’Union européenne. Un accord « extrêmement difficile à atteindre, reconnaît-il, notamment parce que le Président russe a décidé que la Russie devait prendre une revanche sur la déconstruction de son empire ».
Le journaliste voit dans les menées internationales russes la volonté de retrouver l’emprise du pays sur son environnement proche, à un niveau partiel de ce qu’il était « à l’époque des Tsars puis de l’URSS ». Une volonté similaire « anime Victor Orban en Hongrie et Recep Tayyip Erdogan en Turquie » pointe-t-il face à la classe. Malgré le poids de l’histoire, Bernard Guetta défend la vision d’une diplomatie européenne unifiée, à la fois ferme et ouverte au dialogue, capable d’affronter le risque d’un « NON » russe face à la proposition « d’un accord de sécurité UE-Russie ».
De la difficulté d’unir 27 nations
A travers l’histoire ou les relations internationales, Bernard Guetta ne voit que des intérêts à renforcer l’unité des européens. Il pointe néanmoins certains écueils. « Il est très difficile d’unir 27 Etats. On a l’Europe du vin et l’Europe de la bière, l’Europe protestante et l’Europe catholique … et pourtant cela fonctionne depuis la signature du Traité de Rome en 1957. On a tout de même réussi à réaliser ce vieux rêve de la monnaie commune en Europe. »
L’Euro « tient bien » pour le journaliste. La preuve ? « Quand une candidate à la présidentielle fait sa campagne sur la sortie de l’Euro … c’est sur ce point qu’elle échoue. Elle n’échoue pas à cause de son parti, ou de sa conception de la France, mais parce qu’elle dit ‘moi je sortirai de l’euro’. Pourquoi ? Parce que ça marche ! » martèle-t-il.
« Dites à des gens de votre génération – ou même de la mienne – que l’on va remettre des postes frontières à la frontière belge ou italienne. Cela semblerait aussi invraisemblable que des postes frontières entre les régions françaises. Pourtant le Duché de Bourgogne ou le Comté de Toulouse ont un jour constitué des espaces fermés avec des langues différentes » poursuit Bernard Guetta pour analyser la remise en cause de la libre circulation sur le continent.
« La double erreur » du traitement des sujets européens dans les médias
Revenant avec le groupe sur la manière de traiter l’actualité européenne, Bernard Guetta pointe la « complexité des sujets européens ». Un niveau de difficulté qui pousse les rédactions à commettre « une double erreur. En premier lieu, pour parler de l’Union on dit ‘l’Europe’. Ce n’est pourtant pas la même chose. » Il y voit un contenu qui n’aide pas à comprendre la dimension des politiques portées par l’Union. « Le journaliste a un devoir de pédagogie » complète l’expert.
« Ensuite, quand mes confrères parlent d’une décision politique européenne : ils disent ‘Bruxelles’. Ce qui revient à dire ‘la Commission européenne a décidé’. Mais la Commission ne décide rien. Elle applique ce que la majorité des Etats membres lui demande. Rappelons aux citoyens que ce sont les chefs d’Etat et de gouvernement, et donc leurs autorités nationales, qui dirigent l’UE aujourd’hui ».