Tribune co-écrite par Yves Bertoncini, Président du Mouvement Européen – France , Olivier Mousson, Secrétaire général, Jérôme Quéré, Délégué général.
Voilà 30 ans que les Européens ont signé à Maastricht le Traité réaffirmant leur volonté d’union, dans un contexte géopolitique marqué par la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide. L’intense débat référendaire qui s’en est suivi en France a confirmé combien ce Traité générait d’espoirs et de craintes dans notre pays : il est d’autant plus utile de les mettre en perspective à l’orée d’une campagne présidentielle oscillant entre ambitions réaffirmées et contradictions classiques.
La grande avancée du Traité de Maastricht, c’est évidemment la création de l’Union économique et monétaire et la mise en circulation programmée de l’euro, devenue effective 10 ans plus tard. Conçue par nous comme une garantie de l’ancrage européen de l’Allemagne réunifiée, qui accepta de sacrifier sa monnaie alors dominante, “l’UEM” a été instituée selon des règles largement inspirées par les pratiques en vigueur outre-Rhin – ce qui a depuis lors suscité de nombreux débats, en France comme au-delà.
30 ans après, l’euro est une monnaie plébiscitée dans les 19 pays de l’UE qui ont choisi de l’adopter – où ceux qui proposent d’en sortir sont très minoritaires : on n’ose d’ailleurs imaginer le Franc affronter la crise en cours entre envol de la dette publique et spéculation financière mondiale… Quant à la gestion de la zone euro, elle a fait l’objet d’ajustements continuels allant presque tous dans le sens des thèses hexagonales : activisme novateur de la BCE face aux crises, mise en place de plans de sauvetage financier, flexibilisation extrême du “pacte de stabilité et de croissance”, contrôle européen des banques, adoption du Plan de relance “Next Generation EU”… Avec l’euro, c’est comme si la France avait eu le beurre et l’argent du beurre – certes sans le sourire de la crémière européenne – puisque notre pays n’a entre-temps résolu aucun de ses problèmes structurels en matière économique, industrielle, budgétaire et sociale… Quand bien même la gestion de l’UEM peut encore être améliorée, c’est donc d’abord à nous de faire mieux sur le registre domestique, sans encore et toujours blâmer “ l’Europe” !
La création d’une Union européenne oeuvrant à notre sécurité collective est l’autre avancée annoncée à Maastricht, puisque le Traité englobe la politique étrangère et de sécurité commune et la coopération policière et judiciaire. Le bilan sur ce registre est nettement plus mitigé, alors même que les multiples menaces externes et internes qui pèsent sur nous n’ont jamais semblé aussi fortes – de quoi aviver bien des frustrations au regard de la prédilection française pour “l’Europe puissance”. Les Européens se sont donnés trop lentement les moyens institutionnels de leurs ambitions, avec la création du poste de haut représentant, puis du Service européen pour l’action extérieure, puis du mandat d’arrêt européen, puis d’un Fonds européen pour la défense, puis l’avènement toujours virtuel d’un “Corps européen de garde-frontières”… Mais c’est aussi sur le plan politique que les divergences de fond demeurent, notre pays apparaissant très contradictoire en la matière.
Prétendre construire une “Europe de la défense” en cultivant l’ambiguïté sur les relations avec les USA et l’OTAN semble en effet très illusoire. Décider de manière solitaire d’une intervention militaire extérieure est en rupture avec les usages démocratiques des autres pays de l’UE, au risque permanent du “cavalier seul”… Vouloir “ refonder Schengen” en rétablissant les contrôles à ses frontières internes au moindre attentat et en ne faisant pas montre d’une grande ouverture en matière migratoire est contre-productif. De même que le serait un refus de voter à la majorité qualifiée en matière de politique étrangère, innovation proposée par la nouvelle coalition allemande, mais dont l’usage programmé en matière agricole avait conduit le général de Gaulle à provoquer “la crise de la chaise vide”…
Les rédacteurs du Traité de Maastricht se sont enfin entendus sur des avancées notables en matière de citoyenneté européenne, par exemple en consacrant le droit de circuler et de résider librement dans l’UE, le droit de voter aux élections locales et européennes, mais aussi
en adoptant le “principe de subsidiarité” afin de réguler et de clarifier l’exercice des compétences de l’UE au regard de celles des États membres. Si ces innovations civiques étaient justes dans leur principe, beaucoup reste à faire sur ce double registre, dans le cadre de la Conférence sur le futur de l’Europe comme dans notre pays. Il s’agit, d’une part, de poursuivre la démocratisation de l’UE, par exemple, en rendant enfin plus transparents les travaux du Conseil et des “comités” encadrant la Commission, tout en donnant au Parlement européen un pouvoir de codécision sur la totalité des enjeux législatifs et budgétaires. Souvent adeptes de la monarchie présidentielle, nos leaders
politiques y sont-ils prêts ? Il s’agit, d’autre part, de rappeler que le droit européen ne prime que dans un nombre limité de domaines, sans altérer notre identité et notre liberté, tout en réaffirmant une primauté pourvoyeuse de sécurité juridique et d’équité de concurrence pour
nos entreprises, nos travailleurs et nos consommateurs. Qui le fera dans notre cher et vieux
pays ?
Au fond, point n’est besoin de “refonder » la construction européenne, puisque c’est à Maastricht qu’elle le fût : il convient plutôt de l’approfondir sans relâche en conciliant ambitions européennes et adaptations nationales, car c’est aussi en changeant la France
qu’on fera avancer l’Europe.
Tribune publiée parue dans L’Opinion le 7 février 2022.